Mephistopheles flying over
Wittenberg, in a lithograph by Eugene Delacroix
« LE CHATEAU DE MEPHISTOFELES »
|
Dans un instant va commencer
Une nouvelle pièce…
Un dilettante l'a écrite
Et des dilettantes la jouent 537
PERSONNAGES
ORDINAIRES :
Maggie, l'érothérapeute
Wagner, l'Interne en Médecine
EXTRAORDINAIRES :
(dans
le désordre)
LESSING |
LENAU |
LISZT |
GOETHE |
BOULGAKOV |
PESSOA |
MURNAU |
T.MANN |
P.VALERY |
MARLOWE |
VOIX :
Dumas, Avenarius, Benavente,
Beskov, Borrow, Brödy, Butor, Coelho de Carvalho, Durrell,
Edwards, Esclasans, Ficke,
González Paredes, Grabbe, Gerschunoff,
Heine, Holtei, Kerouac, Klingemann,
Landolfi, Lee, Lenz, Lunatcharsky, Maragall, Mountford, Müller, Nye, Pagani, Petit, Pfitzer, Pouchkine, Schink,
Soane, Spieeelhagen, Tourgueniev, Sito,
Valera, Villalonga, Von Chamisso, Widmann,
Wolfram, et beaucoup d'autres auteurs de Faust
moins connus.
MUSIQUE, CHŒURS ET CHANSONS :
Berlioz, Boito, Busoni,
Gounod, Liszt, Schumann,
Strauss J., Wagner, etc., etc.
GOUNOD |
BOITO |
BUSONI |
LISZT |
SCHUMANN |
BERLIOZ |
(Le rideau s'ouvre sur une scène inondée
d'une lumière rouge. Dans un coin, assis sur une malle à moitié ouverte, pleine
de manuscrits, un homme petit et frêle
-Fernando Pessoa- vêtu d'un costume semblable à celui de Charlie Chaplin
du cinéma muet, est en train d'écrire sur un immense livre de comptabilité. Au
fond on voit une sorte de comptoir qui pourrait être une table de jury
d'examens ou celle d'un tribunal ou bien, le bar d'un cabaret. Sur un côté
s'ouvre la porte de la «Fornicatiozimmer», où l'on
aperçoit un divan. L'ambiance devra être constamment ambiguë pour que le
spectateur ait l'impression d'assister tantôt à un jugement, tantôt à une
soutenance de thèse et, parfois, à une discussion entre amis qui font la noce
dans un bordel. Mais, surtout, le décor doit donner l'impression d'une scène
onirique, d'une situation qui pourrait être rêvée par le spectateur lui-même.)
WAGNER –
(Blouse blanche, stéthoscope
autour du cou ; il entre précipitamment.)
Diable ! Je suis en retard ! Je me suis endormi sur mes livres en
révisant mon examen !
(Etonné, il regarde le bureau central.)
Qu'est-ce que je
fais ici ? Et quelle heure est-il ? 538 Où sont les examinateurs ? J'espère
qu'ils ne sont pas repartis, las de m'attendre… Damné Belzébuth ! Et si j'étais
en train de rêver ? Combien de fois ai-je rêvé que je repassais mon
baccalauréat ! Encore aujourd'hui, alors que je suis presque Docteur en
Médecine, il m'arrive de rêver que je me trouve de nouveau au lycée face aux
examinateurs en ayant tout oublié, absolument tout. Je
ne me rappelle même pas la règle de 3. Ni comment on extrait une racine carrée
ou comment on résout une équation algébrique. Quelle angoisse ! Et maintenant ?
Je rêve peut-être encore 539 que je dois passer mon examen,
alors qu'en réalité je suis déjà médecin depuis longtemps.
(Il se pince les joues, se tire
les oreilles, se frappe le front)
Non… Non… Je suis bien réveillé et je dois affronter le plus terrible
des jurys. Si j'échoue à mon examen, jamais je ne serai « Docteur » !
(On entend la mélodie sensuelle d'un
saxophone. Une puissante lumière éclaire un escalier dans un angle de la
scène. Une infirmière sculpturale descend lentement, au rythme de la musique. Elle
porte une blouse blanche courte et chausse des souliers aux talons vertigineux.
Sa longue chevelure blonde est coiffée d’une toque qui met en valeur son visage angélique, malgré le maquillage provocant des
yeux.)
UNE VOIX –
(Accompagnée de
trois coups qui font sursauter Pessoa. Le poète –interprété par un mime-
nettoie ses lunettes rondes, lisse ses moustaches, ajuste son nœud papillon,
astique ses mancherons de comptable et se sert un verre d'eau de vie d'une
bouteille noire dissimulée dans son porte-documents.)
-
Madame Maggie, Intendante et Erothérapeute du Château
de Méphistophélès !
WAGNER –
Sainte Vierge ! Je suis vraiment
en train de rêver !
(Il se donne des
claques et se pince le visage et le corps.)
MAGGIE –
(S'approchant avec une grâce
féline, elle lui prend d'une main son stéthoscope dans un geste câlin et de
l'autre, lui caresse la nuque.)
C'est la première fois que le Docteur vient ici ?
WAGNER –
Je ne suis pas encore Docteur, Mamamimamimamimimima…540 … Pardon, Ma…
Madame Maggie… Je suis ici justement pour passer mon examen de doctorat.
MAGGIE –
Votre examen de doctorat ? Ici ? Au «Château de Méphistophélès»,
WAGNER –
Je me suis sûrement trompé d'adresse, Mamamimamimamimimima…
Madame. D'ailleurs, je ne sais pas ce que je fais à Hambourg… Je ne suis jamais
venu en Allemagne…
MAGGIE –
Et quel âge a le Docteur ?
WAGNER –
Vingt-trois ans, Mamamimamimamimimima… Madame.
MAGGIE –
Tu peux m'appeler Maggie, mon biquet. Je ne suis pas mariée,
heureusement ! J'apprécie que les hommes me respectent, mais pas qu'ils me
craignent. Je crois que tu es encore trop jeune. Tu ne sais pas t'y prendre
avec les femmes. Mais tu as de la chance, mon chou. Je suis l'une des
meilleures érothérapeutes de ce pays. Nous verrons si
le client que j'attends souffre de moins d'inhibitions que toi.
UNE VOIX –
(Accompagnée de trois coups.
Nouveaux sursauts de Pessoa qui, à partir de cet instant et jusqu'à la fin de
la farce, essayera en vain -en faisant dans un mutisme total des mimiques
chaplinesques- de participer aux évènements.)
Herr Gotthold Ephraïm Lessing, essayiste
et dramaturge de profession !
LESSING –
(Un homme mûr, vêtu à la mode allemande du XVIIIe siècle)
Alors, c'est ça le célèbre «Château de Méphistophélès» ? J'ai entendu dire beaucoup de choses
excellentes et fort flatteuses sur cette maison ,541mais je croyais que
c'était un bordel beaucoup plus fréquenté… J'ai une soif d'enfer. On m'a dit
aussi qu'ici on servait la meilleure bière de toute l'Europe.
(Impatient)
Holà, l'hôtesse ! Où sont les
filles ?542 Y-a-t-il quelqu'un pour me servir une bière ?
MAGGIE –
Entrez, entrez Herr Lessing ! Je vous attends depuis un moment. Vous
arrivez un peu tard. Toutes les érothérapeutes sont
occupées. Elles travaillent dans leurs chambres. Heureusement que j'ai reçu
votre message à temps. Sinon je serais en train de masser ce jeune Docteur…
(Elle sourit à Wagner puis, se
dirige vers le bureau. Elle change son costume d'infirmière pour un mignon tablier de dentelle et une
petite coiffe de dentelle blanche. 543 Elle
revient avec un grand pichet de bière qu'elle dépose sur un guéridon, face à
Lessing, qui reste bouche bée devant la nudité quasi totale de Maggie.)
WAGNER –
Moi aussi j'aimerais bien prendre une bière… et savoir qui est mon
heureux rival !
MAGGIE –
Ne sois pas jaloux, mon chéri. C'est la seule règle de courtoisie dans
cette maison. Et puis, il n'y a pas de quoi s'inquiéter : avec ce que m'a donné
(Elle retourne vers le bureau,
revient avec un second pichet de bière et invite Wagner à se joindre à Lessing.)
Permets-moi de te présenter Herr Gotthold
Ephraïm Lessing…
WAGNER –
Très honoré. Je m'appelle Wagner
et je suis interne en médecine. Bientôt je serai Docteur, bien que je ne sois pas
Allemand. Je suis né au Chili.
LESSING –
Ravi de vous connaître. Comme ça, je pourrai pratiquer l'espagnol,
langue que je maîtrisais à la perfection dans ma jeunesse. Je suis celui qui
fit connaître en Allemagne Juan Huarte, le philosophe
castillan.
WAGNER –
Pardonnez-moi, Herr Lessing. Je ne suis ici que depuis peu, et je
voudrais bien apprendre quelque chose de bien,544 mais en bon interne en médecine, je
suis complètement ignorant de tout ce qui ne concerne pas ma spécialité. Je ne
comprends rien à la littérature et à la philosophie. Si cela ne vous ennuie
pas, j'aimerais beaucoup savoir qui vous êtes.
MAGGIE –
Excellente idée ! Comme ça, je connaîtrai mieux mon nouveau client.
(Elle prend une chaise et s'assoit à califourchon pour écouter la
conversation.)
LESSING –
(Avalant une large rasade de bière)
Je suis né en 1729 dans la petite ville de Kamenz
et je suis mort en 1781 à Wolfenbuttel, alors que je
venais tout juste d'avoir cinquante-deux ans…
MAGGIE –
Cinquante-deux ans ! Vous êtes
très bien conservé pour votre âge, Herr Lessing. Vous
n'avez pas pris une seule ride après votre décès !
LESSING –
Merci, Chère Madame. A vrai dire, j’aurais bien voulu vivre quelques
années de plus pour mieux assurer ma renommée posthume.
MAGGIE –
Nous sommes ici pour vous aider, Herr Lessing.
Continuez, s'il vous plait…
LESSING –
Bien. Je continue : mon père était un pasteur luthérien qui rêvait de
faire de moi un grand théologien. Mais je préférais la littérature, surtout le
drame. A vingt-deux ans, j'ai abandonné mes études de théologie pour écrire et
présenter ma première pièce, Un jeune
savant. Mon succès fut aussi foudroyant qu'éphémère, même si des drames comme
Nathan le Sage, ou bien des essais
théoriques comme
WAGNER –
Rien d'étonnant ! On dit qu'un écrivain véritable doit vivre au moins
deux fois. La première fois pour écrire. La deuxième pour être célèbre.
LESSING –
Pourtant, j'aurais pu être célèbre de mon vivant grâce à la plus belle
de mes pièces, Doktor Faust, dont il ne reste aujourd'hui que
quelques fragments. Ce Faust, qui
aurait pu m'assurer une immortalité bien plus brillante que celle que je
possède, me fut volé et plagié…
WAGNER ET MAGGIE –
(A l'unisson)
Volé !
(Pessoa tend l'oreille pour ne perdre aucun détail de ce qui est dit. Il
écrit à toute vitesse et longuement dans son cahier.)
LESSING –
Oui ! Volé par un écrivain sans scrupules qui porte la gloire qui aurait
dû être la mienne : Johann Wolfang Goethe,
fils-à-papa et thuriféraire de la maison ducale de Weimar.
WAGNER ET MAGGIE –
Goethe ! Le célèbre poète
allemand, un voleur ?
LESSING –
Parfaitement ! Il faut dire que j'étais un dramaturge indécis et dépourvu de foi et d’espérance.545 Tout en travaillant
à mon Faust, je correspondais avec
des amis afin de leur demander conseil. Goethe, grâce aux commérages
littéraires qui ont accompagné et accompagneront toujours le monde de la
littérature, eut ainsi connaissance de l'existence de ma pièce. Or, lui aussi
projetait d'écrire un drame sur Faust et il imagina un plan pour s'emparer de
mon œuvre. Pauvre de moi ! Goethe profita de ma mauvaise habitude de confier à
n'importe qui le transport de mes manuscrits. Sournoisement, il paya et obtint
d'un cocher qu'il lui remît la valise qui contenait le seul exemplaire de mon Faust. Pour comble de malheur, mon
épouse adorée mourut peu de temps après, suivi de notre fils unique. Alors,
accablé par tant de souffrances, je me laissai mourir de chagrin…
WAGNER –
Mes sincères condoléances tant
pour la mort de votre épouse, que pour la mort de votre fils, et aussi, pour
votre propre mort, Herr Lessing. Mais, dites-moi,
comment savez-vous que Goethe a volé votre Faust
?
LESSING –
Il suffirait de dire que Goethe, tout comme le cocher et moi-même,
sommes tous les trois en Enfer. Et, en Enfer, tout se sait, notamment les
péchés commis par chacun. Mais je préfère vous faire part de plusieurs faits
précis : je fus dépouillé de mon manuscrit en 1775. Peu de temps après Goethe
arrivait à Weimar avec un Faust (le
mien), dont la lecture lui servirait pour séduire la jeunesse de la cour. Il
fit donc copier mon Doktor Faust par une de ses amoureuses,
Fräulein Louise von Göchhausen,
qui reçut la mission de brûler ensuite l'original.
MAGGIE –
Fräulein Louise von Göchhausen,
maîtresse de Goethe ?
LESSING –
Il en a eu des dizaines, grâce à son pouvoir comme haut fonctionnaire de
MAGGIE –
Heureusement que tu es au «Château
de Méphistophélès», mon amour. C'est le meilleur endroit pour oublier toutes
ses peines. Je suis à ton entière disposition. Si tu veux, nous pouvons passer
immédiatement dans mon cabinet de travail,
LESSING –
(Avec un sourire amer)
Merci, mille fois merci, chère
Fräulein. C'est pour cela que j'ai demandé à Belzébuth de passer quelques jours
ici. Hélas ! Le souvenir de ma famille et de Goethe m'a totalement déprimé. Je
ne crois pas que mon organe viril sera capable de redresser la tête. Et pour ne
pas courir le risque de vous décevoir, je préfère rester seul avec mes regrets.
MAGGIE –
Ah non ! Si ça continue comme ça,
on va tous pleurer et je vais perdre ma réputation.
(Elle se lève pour aller chercher
de la bière, et soudain s'exclame avec enthousiasme)
J'ai une bonne idée ! Pour ne pas nous ennuyer, nous allons convoquer ce
Monsieur Goethe. Nous nous installerons derrière le bureau et nous le jugerons
au nom du patron de notre établissement. Tout est possible au «Château de
Méphistophélès» !
(Eclairs, tonnerre, fumée, musique. Brève mais totale obscurité.)
SCENE
II
----------
(La lumière se concentre sur le bureau,
derrière lequel sont assis Lessing et Wagner, habillés en juges. Pessoa reste
dans son coin, se préparant à prendre des notes du procès. Maggie sort de
MAGGIE –
Je suis désolée ! Il m'a fallu du temps pour me changer.
(Elle s'arrête un instant pour fixer ses bas résille à son
porte-jarretelles. Puis, s'asseyant entre ses deux collègues, elle croise haut
les jambes, les exhibant généreusement par-dessous le bureau.)
WAGNER –
(Subitement imbu de son importance
comme membre du jury)
Herr Lessing nous fera l'honneur de
présider ce tribunal…
LESSING –
Non, non ! Sous aucun prétexte. C'est à Fräulein Maggie que revient cet
honneur.
MAGGIE –
Je vous remercie, Herr Lessing. On voit que
vous savez comment mener les femmes ! Mais ne perdons pas davantage de temps…
(Elle donne trois coups de marteau)
Que l'accusé Johann Wolfang Goethe comparaisse !
(Un rideau s'entrouvre sur un vieil homme
bossu qui boutonne maladroitement son pantalon. Un coup de pied sonore, lancé
par un démon, le fait trébucher et tomber au milieu de la scène. Pessoa se
précipite pour l'aider, mais trop tard. Il s'arrête et retourne dans son coin.)
GOETHE –
(Utilisant les mots du Doktor Faust de Lessing)
Wer ist der Mächtige, dessen Rufe ich gehorchen muss ! Du? Ein Sterblicher?
Wer lehrte dich diese gewaltige Worte?547
(Il finit de réajuster ses vêtements,
un somptueux costume du début du XIXe siècle, en soie, brodé d'or et de
pierreries. Le vieil homme porte une longue perruque argentée, ses doigts sont
recouverts de bijoux.)
LESSING –
(Plaintif comme un enfant)
Vous voyez, vous voyez, Fräulein ! Ce butor continue à me plagier… Les
phrases qu'il vient de dire sont celles de mon Faust.
MAGGIE –
J'ordonne à l'accusé de ne parler dorénavant que dans la langue
universelle du Château de Méphistophélès !
WAGNER –
(De plus en plus satisfait par son rôle inattendu d'examinateur)
Monsieur ! Vous avez été convoqué devant ce tribunal pour répondre aux
graves accusations de vol et plagiat du drame intitulé Faust, œuvre du grand écrivain ici présent, Gotthold Ephraïm
Lessing. Dites-nous, où diable se trouve le
manuscrit de Faust ?548
GOETHE –
Radotage ! Radotage !549 Je n'ai pas de
temps à perdre pour réfuter des allégations aussi absurdes, dictées par la frustration
et la jalousie. J'irai directement au fait : c'est vrai que cherchant
l'inspiration, je me suis procuré le manuscrit de Lessing, mais je ne l'ai
point volé. Ce fut mon fervent admirateur, Henry Lessing, oncle de Gotthold
Ephraïm, qui m'a envoyé le fatras en question. Après l'avoir lu, je me suis
rendu compte que je ne pourrais rien tirer de ce salmigondis mal concocté. Par
contre, mon Faust rend au personnage
de la légende sa véritable importance.
LESSING –
Salmigondis toi-même !
GOETHE –
Pour rendre la chose moins amère,
je ferai preuve de magnanimité. Le Faust de
Lessing a, certes, une qualité : il contribue à démystifier l'image
obscurantiste qu'on donnait du Docteur Faust au XVIIIe siècle. Lessing et moi
(mais moi bien mieux que lui) nous avons fait de Faust un des archétypes de
l'homme moderne. Et Faust (grâce à moi beaucoup plus qu'à Lessing) cessa d'être
le magicien obscur de la légende, pour se transformer en l'homme de sciences et
de lettres de la modernité.
LESSING –
Oui. Sur ce dernier point je suis
d'accord avec Goethe. Mais toujours est-il que, plagiat ou pas, si je n'avais
pas écrit mon Faust, lui non plus
n'aurait pas écrit le sien…
MAGGIE –
Du calme ! Procédons par ordre,
s'il vous plaît. Que peut dire l'accusé pour sa défense ?
GOETHE –
Gotthold Ephraïm est un ingrat ! Il ne reconnaît même pas que c'est
grâce à moi que sa comédie Nathan le Sage
fut présentée à Weimar, en 1801, à une époque où personne ne parlait de lui. Et
puis, qui a créé le personnage de Marguerite ? Et qui a fait entrer Hélène de
Troie dans la légende faustienne ? Qui eut cette inspiration divine ? Moi, moi
et encore moi ! C'est une grande
jouissance que de se plonger dans l'esprit des temps passés !550
LESSING –
Faux, faux et encore faux !
Hélène de Troie fut introduite par Marlowe, mon illustre précurseur anglais.
GOETHE –
Ceci dit, Mademoiselle Maggie, vous non plus vous n'existeriez pas si je
n'avais pas créé Marguerite. Elle a une importance décisive pour équilibrer
l'intellectualisme effréné de Faust. Marguerite apporte l'amour, la sensualité,
la joie simple et fraîche de la jeunesse…
(Au fur et à mesure qu'il fait l'éloge de Marguerite, Goethe commence à
rajeunir : il s'arrache la barbe, les sourcils gris et la perruque argentée, et
redresse son dos. Un jeune homme à la beauté radieuse remplace le vieux
décrépi.)
Comment le public aurait-il pu accepter un
drame purement intellectuel ? Qui serait intéressé par la connaissance si
celle-ci n'était pas équilibrée par le plaisir des sens ? Peut-on atteindre une
connaissance vraie en ignorant les sens et l'émotion ?
(Pessoa récupère les objets jetés
par Goethe, puis retourne rapidement dans son coin.)
MAGGIE –
Oui, oui ! Sans le plaisir des sens, sans l'amour et l'émotion,
l'existence humaine est absurde.
(Elle quitte son siège, soupire profondément et se dirige vers Goethe.)
Mon cœur, je t'absous de tous tes péchés !
WAGNER –
(Jaloux, bredouillant.)
Juridiquement
parlant d'un point de vue juridique,551 il faut prononcer
une sentence très juridique !
(Il dit quelque chose à l'oreille
de Lessing, les deux chuchotent rapidement et finalement Wagner annonce) :
Ce tribunal condamne le double plagiat de Johann Wolfang
Goethe pratiqué sur les Faust de
Christopher Marlowe et Gotthold Ephraïm Lessing. En conséquence, nous exigeons
qu'à partir de maintenant tous les Instituts qui à travers le monde portent le
nom de Goethe, s'appellent «Institut Lessing». Et, chaque fois que l'on vantera
les qualités de la langue allemande, on ne parlera plus de la « langue de
Goethe » mais de la « langue de Lessing ». En outre, afin de garder une trace
numérique de la valeur du Faust goethéen,
chacun des jurés doit attribuer une note de 1 à 7, le total devant atteindre 12
au minimum pour obtenir le Doctorat en Faustologie.
Professeur Lessing, quelle note donnez-vous à l'accusé ici présent ?
LESSING –
(Irrité, regardant Goethe et Maggie
qui s'embrassent fougueusement, sans prêter attention à son discours.)
Le Faust de Goethe -mauvaise
copie du mien- est, d'un point de vue strictement dramatique, nul. Je répète :
nul ! Seules les scènes du début de la première partie -
WAGNER –
Bien dit ! En ce qui me concerne, comme jamais je n'ai lu ni ne lirai le
Faust de Goethe, et tenant compte des
circonstances atténuantes, je lui mets 3.
(Criant)
Et vous, Mademoiselle Maggie ?
MAGGIE –
(Entrant dans son cabinet de
travail)
Moi, j'adore sa noble allure, sa
fière stature, le sourire de sa bouche, l'éclat de ses yeux !552 Je lui mets 7 !
WAGNER –
(A contre cœur,
tandis que Pessoa tente, sans succès, de donner son opinion.)
Le Sieur Johann Wolfang Goethe a obtenu son
Doctorat en Faustologie avec 12 points sur 21, la note
minimum !
(Coups de tonnerre,
éclairs, fumerolles et musique joyeusement endiablée. Obscurité.)
SCENE III
Mariano Fortuna : El sueño de Fausto
Un pianiste aux cheveux longs, en soutane
noire, joue l'une des « Mephistowalze », inspirées à
Liszt par le « Faust » de Lenau.
MAGGIE –
(Sortant en pleurs de
Hélas ! Hélas !554 Quelle tragédie! Quelle tristesse ! Ce devait être mon jour de noces !555 Jusqu'à cette
nuit, j'étais vierge. Depuis cette nuit, je suis veuve pour toujours. Jamais je
n'aurais imaginé qu'un homme puisse faire l'amour avec autant de passion…
LISZT –
(Interrompant sa valse)
Meine liebe Fräulein, Pourquoi tant de
pleurs ? Que se passe-t-il ? Puis-je faire quelque chose pour vous ?
MAGGIE –
(Pleurant toujours)
Mon cœur se brise
en moi !556 Il est mort ! Mon amant
le plus extraordinaire, il est mort !
LISZT –
Qui ?
MAGGIE –
Johann Wolfang Goethe. Mais je me fiche de son
nom. Personne ne m'a jamais fait l'amour de cette façon…
LISZT –
(Eclatant de rire)
Goethe ! Ce vieux lubrique ! Plus lubrique que moi !
MAGGIE –
Ma seule consolation, c'est qu'il est mort la tête entre mes cuisses. «
J'ai plus de deux cents ans -m'a-t-il dit en expirant- et c'est la deuxième
fois que je meurs. Mais c'est la première fois que je meurs entre les jambes
d'une femme. »
LISZT –
Moi aussi j'aimerais bien mourir
deux fois… dans les mêmes conditions, bien entendu..
MAGGIE –
Qui êtes-vous, Cher Monsieur ?
LISZT –
Franz Liszt, compositeur et pianiste hongrois, pour vous servir.
MAGGIE –
Votre nom me dit quelque chose.
Mais avec tous les clients que j'ai, je n'arrive pas à me souvenir de vous. De
toute façon, vous êtes le bienvenu ici. Nous avons besoin d'un nouveau
pianiste. J'ai du me séparer de l'ancien -un sieur dénommé Chopin- parce que sa
musique ne correspondait pas tout à fait à l'ambiance du «Château de
Méphistophélès»…
(On entend dans le
lointain, le chahut des deux compères manifestement ivres -Lessing et Wagner-
qui arrivent sur scène en chantant une chanson du « Faust » de Pessoa, chacun
un verre à la main.) :
Bom bebedor, bebe-bebe
Bebe-lhe, bom bebedor
;
Só uma cousa esta
vida tem
E o vinho- mira
lhe a cor !
A vida é/um dia/e a cava um horror
Bebe-lhe, bebe-lhe, bom bebedor.557
(Pessoa dirige le
chœur imitant un chef d'orchestre,)
TOUS –
Bravo ! Bravo ! Qui a écrit cette
chanson ?558
LESSING –
(S'adressant à
Wagner)
C'est toi camarade
?559
WAGNER –
Ecrire des vers,
moi ? La chanson, je l'ai apprise, il y a bien longtemps. C'est peu de chose,
juste une façon de crier.560
(Pessoa, debout, reste coi)561
MAGGIE –
ça y est, ils sont saouls !
LESSING ET WAGNER
–
(Ensemble)
Mademoiselle Maggie ! Pourquoi nous avoir abandonnés ? Vous faites
partie de la commission d'examinateurs. Votre cher Goethe a eu 12 sur 20, la
note la plus basse.
(Ils rient
bruyamment)
MAGGIE –
Ah , mes petits jaloux ! Goethe vient de mourir dans mes jambes…
LESSING ET WAGNER
–
Vous êtes une érothérapeute très dangereuse,
Mademoiselle ! Et qui est ce Monsieur ? (Désignant
Liszt) Encore un nouveau client ?
LISZT –
(Très fier)
Je suis musicien, mais également expert en faustologie.
J'ai composé les Mephisto Walze,
WAGNER –
(Hoquetant)
Hic ! Hic ! On ne peut pas vous
faire passer l'examen. Nous, on n'y connaît rien à la musique. On est des
spécialistes en littérature et en médecine, uniquement.
LISZT –
Ça ne m'intéresse pas de devenir
Docteur. En revanche, je voudrais vous présenter un compatriote, qui -à mon
avis- a écrit le plus parfait de tous les Faust connus. Le comte Nikolaus Niembsch Edler von Strehlenau,
ou plus simplement, Nicolas Lenau. Si vous me permettez, j'invoquerai sa
présence grâce à la musique que son œuvre m'a inspirée.
(Il va vers le piano et commence à
jouer l'une de ses « Mephisto Walze
». Du cintre descend peu à peu, étendu sur une civière et enveloppé d'un drap
blanc, le cadavre de Lenau.)
MAGGIE, LESSING
et WAGNER –
(Ils reculent
glacés d'épouvante)
Oh ! Que Dieu nous garde !562
(Pessoa se cache
derrière sa malle)
LISZT –
(S'arrêtant de jouer
au moment même où le cadavre arrive sur le bureau des examinateurs)
Je disais que Lenau est mon compatriote car, même s'il est né au début
du XIXe siècle à Csatàd, ville qui s'appelle
aujourd'hui Lenauheim, en Roumanie, il a passé toute
son enfance et son adolescence dans la ville hongroise de Tokay.
LESSING ET WAGNER
–
Du tokay ? Hic ! Hic !
(Ils recommencent à
chanter)
Bon
buveur, bois-moi bien, etc., etc.,
LISZT –
En voilà des examinateurs ! Ils sont bons pour faire passer le bac, ces deux-là ! Mais auparavant, il faudrait qu'ils passent un
alcotest !
(S'adressant à
Maggie)
Alors, gentille demoiselle, il vaut mieux que le Comte vous raconte
lui-même son histoire. Venez près de lui. Un seul baiser de vous, lui rendra la
vie.
MAGGIE –
(Hochant la tête,
mécontente)
Foutu métier ! Si je n'envoie pas les hommes au tombeau, je dois les
ressusciter ! A ce train-là, je vais être obligée d'augmenter mes tarifs !…
LISZT –
N'oubliez pas que nous sommes au
«Château de Méphistophélès», meine Fräulein !
Et que ce n'est pas pour rien qu'on m'appelle le « Méphisto-en-soutane » Je
suis le délégué de votre patron et vous devez m'obéir.
MAGGIE –
(Terrorisée,
s'agenouillant devant Liszt)
Mille pardons,
Messire !563
(Tandis que Liszt
retourne au piano, elle s'approche du cadavre de Lenau. Lentement, elle soulève
le drap et découvre le corps nu d'un jeune homme à l'arcade sourcilière
ensanglantée.)
Par Lucifer ! Jamais je n'ai vu un homme aussi beau !
(Elle caresse le
cadavre, puis elle lui baise les lèvres tout en lui posant doucement une main
sur le sexe.)
Vous êtes un homme
magnifique !564
LENAU –
(Comme émergeant
d'un lourd sommeil)
Qui me rappelle si doucement à la vie ?
MAGGIE –
Moi, mon amour. La servante de Méphistophélès, Gouvernante de ce
château. C'est ton admirateur, Franz Liszt, qui m'a demandé de le faire.
LISZT –
Admirable poète ! Quel magnifique
privilège de pouvoir te serrer dans mes bras !
(Il l'étreint et
l'embrasse sur le front)
Nous t'avons fait revenir à la vie pour que tu défendes ton honneur
devant ces messieurs-dames. Ils sont des experts en faustologie
et ils viennent de décerner le titre de Docteur à Johann Wolfang
Goethe…
LESSING et WAGNER –
(A l'unisson)
Avec la note minimale !
LISZT –
Avec la note minimale, d'accord. Curieusement, comme tu le sais mieux
que personne, les gens croient, pour la plupart, que le Faust de Goethe est le seul et unique Faust. Et ils pensent que c'est lui qui a créé le personnage. Ce
triste malentendu se perpétue encore aujourd'hui.
LENAU –
(Avec gravité et
utilisant les mots de sa lettre à Justinus Kerner)
Oui. Goethe a écrit un Faust,
mais il n'en a pas le monopole. Faust appartient au patrimoine de toute
l'Humanité. Goethe est un présomptueux,
un fat, un chimérique, qui ne songe qu'à lui, tout en donnant des leçons de
sagesse au monde entier ; un sot, qui pense que l'esprit se fixe en formules ;
un imposteur qui nous mène en bateau, d'une île à l'autre, sous prétexte de
nous faire découvrir des terres inconnues qui n'existent pas ; un séducteur, un
don Juan de village…565
MAGGIE –
Pardonne-moi de t'interrompre, chéri. J'aimerais tellement connaître ton
histoire.
LENAU –
L'histoire de ma vie n'a pas beaucoup d'intérêt. C'est une suite de
malheurs à la fois terribles et banals. D'abord, la mort de mon père quand
j'avais à peine cinq ans. Puis, à 16 ans, je dus me séparer de ma mère avec
laquelle j'avais vécu en Hongrie, pour aller vivre chez mes grands-parents
paternels près de Vienne. J'y étudiais le Droit,
MAGGIE, LESSING ET WAGNER –
(A l'unisson)
Aux Etats-Unis ! La démocratie, l'amour et la liberté ! Aux Etats-Unis ?
LENAU –
Ne vous moquez pas de moi, je
vous en prie. En réalité, comme je le dénonce dans l'une de mes lettres
d'alors, au lieu de l'amour pour la démocratie je ne rencontrai que des gens
amoureux de l'argent. Ayant constaté que dans les forêts américaines on
n'entendait même pas le chant du rossignol, je revins dans notre vieille
Europe, le cœur plein d'amertume. Puis, je commençai l'écriture de mon Faust, publié en 1836, quatre ans après
la mort de Goethe. Mais le succès de mon prédécesseur avait été si grand, que
mon poème dramatique en fut occulté presque totalement. J'allais créer encore
d'autres pièces -Savonarole, Les
Albigeois, Don Juan-, j'aimerais encore quelques femmes et j'écrirais de
nouveaux poèmes, mais sans enthousiasme. Déçu par la vie, je sombrai dans la
folie. Et au bout de six pénibles années d'enfermement dans un hôpital
psychiatrique, je me donnai la mort d'un coup de feu.
WAGNER –
Pauvre ami ! Quelle triste vie !
Aussi triste, sinon plus, que celle de Gotthold Ephraïm Lessing. Mais, puisque
tu es ici et que jamais tu n'as obtenu de diplôme à l'université, profites-en
pour passer ton examen de faustologie. C'est
l'équivalent d'un bac +24 ! Il n'est jamais trop tard pour devenir Docteur…
LESSING –
Soumettre Nicolas Lenau à un examen serait une insulte à sa mémoire. Son
Faust -comme Franz Liszt nous l'a
assuré- est une œuvre maîtresse de la poésie dramatique. Contrairement à la
versification souvent ridicule de Goethe, les vers de Lenau sont
extraordinairement élégants. Et bien que la construction de l'œuvre souffre
d'une relative incohérence entre les tableaux, celle-ci est beaucoup moins
importante que l'incohérence qui caractérise le Faust de Goethe. Le seul reproche qu'on pourrait lui faire, c'est
son pessimisme excessif, reflet de la mélancolie qui imprégna toute sa vie.
Pour cette raison, je lui donne 6 sur 7.
MAGGIE –
(Minaudant)
Et Marguerite ? Quel rôle
a-t-elle dans ton Faust?
LENAU –
Aucun, Fräulein Maggie. Il n'y a pas de Marguerite dans mon Faust. Il y a seulement une Marie, qui
n'aime pas Faust, mais son fiancé, le duc Hubert.
MAGGIE –
Dommage ! Toi le plus beau de
tous !567 J'allais te mettre
7, mon amour, mais tu devras te contenter de 6. Ce n'est pas une mauvaise note…
WAGNER –
Et moi, comme je n'ai pas eu le temps de lire ton Faust à cause de la préparation de mon doctorat, je suivrai l'avis
de mes collègues : je te mets 6. (Haussant
la voix)
Le comte Nicolas Lenau a obtenu son doctorat en faustologie
avec la note de 18 sur 21 ! Félicitations du jury !
LISZT –
Bravo ! Enfin justice est faite !
(Il joue sa Mephisto Polka. Maggie danse sensuellement attirant Lenau,
Lessing et Wagner vers la «Fornicatiozimmer», puis
ils disparaissent au-delà de la porte, laissant Pessoa dehors.)
SCENE IV
MURNAU
(Le rideau s'ouvre
sur un groupe en pleine effervescence. Cameramen, assistants, scripts, etc.,
courent dans tous les sens. Dans un angle, Friederich
Wilhelm Murnau, maître allemand du cinéma muet, dirige le tournage d'un film
projeté simultanément sur un écran installé au fond de la scène. Pessoa
s'assoit sur sa malle face à l'écran avec, dans ses mains, un énorme paquet de
pop-corn.)
MURNAU –
Lumière ! Grand plan extérieur ! Action !
Séquence I : Un petit
groupe d'amis habillés à la mode élisabéthaine de la fin du XVIe siècle / Ils
mangent, boivent et folâtrent dans la cour d'une taverne / Le moment de payer
l'addition arrive…
MURNAU –
Plan moyen !
Séquence 2 : Deux des convives, interprétés par Wagner et Lessing,
appellent l'hôtesse, interprétée par Maggie, « top-less
», mais vêtue d'un jupon ample / Ils lui expliquent -entre éclats de rire,
grossièretés et tripotage- que c'est le troisième convive qui doit payer /
Celui-ci, un homme encore très jeune, aux cheveux longs et aux traits délicats,
proteste vivement / Il n'a pas d'argent et affirme que ce sont ses camarades
qui l'ont invité / Une violente discussion commence alors / Les deux premiers
compères frappent le troisième avec une brutalité croissante / Le jeune homme
tente de se défendre mais, obligé par la supériorité numérique de ses
attaquants, il dégaine un poignard…
MURNAU –
Plan général !
Séquence 3 : Un des
compères rentre dans la taverne / Il revient en brandissant un tisonnier…
MURNAU –
Plan rapproché !
Séquence 4 : La caméra
zoome sur le fer long et pointu / L'homme qui le tient a un sourire diabolique…
MURNAU –
Plan moyen !
Séquence 5 : Les compères
désarment le jeune homme et l'immobilisent contre la table / L'un d'eux lui
tient fermement la tête…
MURNAU –
Plan rapproché !
Séquence 6 : L'homme qui
tient le tisonnier observe avec cruauté le visage du jeune homme / Soudain, il
lui enfonce le fer profondément dans l'orbite, lui faisant éclater l'œil et
l'hémisphère cérébral droit…
MURNAU –
Gros plan !
Séquence 7 : L'hôtesse,
horrifiée, essaie de fuir / Les assassins l'attrapent, la jettent à terre, lui
arrachent son jupon et la violent avant de disparaître…
MURNAU –
(L'air abattu et
fatigué)
Coupez !
(S'adressant aux acteurs)
Mauvais ! Très mauvais ! C'est la dixième fois que nous répétons la même
scène et pourtant elle manque toujours de vraisemblance. Je vous répète une
fois de plus que notre objectif est de représenter un fait véridique :
l'assassinat de Christopher Marlowe, tel qu'il a été décrit dans un rapport de
police daté de 1593. Rappelez-vous que la scène se passe en pleine période
élisabéthaine et non pas au XXe siècle et que Christopher Marlowe était un
grand dramaturge et non pas un malfaiteur.
WAGNER –
C'est précisément la raison pour
laquelle je ne parviens pas à me libérer et à entrer dans mon rôle d'assassin. Le
personnage de Marlowe m'intimide.
LESSING –
Moi aussi. ça me gêne d'avoir à tuer l'illustre contemporain de
Shakespeare.
MAGGIE –
(Furieuse,
remettant en ordre ce qui reste de ses vêtements après le viol.)
Charmants, les copains ! Jouer
les assassins leur donne des scrupules ! Mais pour me violer, pas de problème !
Si vous continuez à me peloter et à m'enfourcher comme des bêtes, je vais
bientôt ne plus pouvoir m'asseoir ! Quand je pense qu'au Chili on m'appelait «
Cul en Fer » !
MURNAU -
Madame, surveillez votre langage, s'il vous plaît ! Je me demande quelle
éducation vous avez reçue. Votre grossièreté dépasse les limites du
supportable. Si vous continuez à parler comme une vulgaire prostituée, je
serais obligé de vous renvoyer de ma troupe.
MAGGIE –
(En furie)
Ecoutez-moi, Monsieur Murnau! Pour que vous le sachiez, nous sommes ici
au «Château de Méphistophélès» et, jusqu'à nouvel ordre, je suis la maîtresse de
cérémonie ! Je vous rappelle que vous êtes mort dans un accident de la route en
1931, près de Hollywood. Et si vous êtes ici, c'est parce que je vous ai fait
venir. Mais pour que les choses soient définitivement claires, je vais
convoquer immédiatement ce Monsieur Marlowe. Lui, mieux que personne, sera en
mesure de nous expliquer les circonstances de sa mort…
(Elle effectue une série de mouvements
étranges, prononce des paroles incompréhensibles. La scène s'obscurcit, puis
des éclairs montrent l'acteur qui représente Christopher Marlowe.)
MARLOWE –
(Avec un bandeau de
cuir noir cachant son œil droit. Il avance avec désinvolture jusqu'au centre de
la scène.)
C'est vrai. Pendant des siècles on a voulu occulter mon assassinat. Je
ne suis pas mort dans la ville de Deptford au cours
d'une rixe de soûlards, comme un rapport de police daté du 30 mai 1593, le
relate. J'ai été attiré dans un odieux
guet-apens568 ourdi par les Services Secrets de la
reine d'Angleterre, Elisabeth I. C'est elle qui, en accord avec l'archevêque
anglican Whitgift, donna l'ordre de me tuer.
MAGGIE –
La reine d'Angleterre ? Une criminelle ?
WAGNER –
De quelle Lady parlez-vous ? Elisabeth I
? Elisabeth II ? Please, be clear !
MARLOWE –
Elisabeth I, my dear.
MAGGIE –
Ça va, ça va. Ici tout le monde
est tenu de parler la langue du Château. Continuez, Monsieur Marlowe.
MARLOWE –
D'après mes ennemis, dès que je
restais seul, le Diable s’approchait de moi sous la forme d’une belle femme et
je m’adonnais avec lui à toutes sortes d’excès…569 Ma vie leur semblait dissolue, ma
conduite et mes manières trop libertines, mœurs pourtant tout à fait répandues
dans cette époque de débauche. Mais j'étais un dramaturge. En fait, la reine et
l'archevêque redoutaient que par mon œuvre théâtrale je n'éveille la conscience
des gens. Le peuple aurait pu alors se rebeller contre l’ordre établi. Et c'est
mon drame Doctor Faustus, dans
lequel je ridiculise les autorités ecclésiastiques pour contrarier le Pape570 et les insolents chevaliers571 de la noblesse, qui finira par provoquer mon assassinat.
Peu de jours après ma mort, un pamphlétaire payé par les Services Secrets de la
couronne, justifierait le crime en m'accusant d'avoir pactisé avec le Diable,
d'avoir blasphémé contre
MURNAU –
(S'approchant de
Marlowe)
C'est précisément cette qualité révolutionnaire qui imprègne ton œuvre
qui a attiré mon attention, beaucoup plus que le Faust de Goethe. Voilà pourquoi j'ai construit mon scénario
cinématographique à partir des deux versions, l'anglaise et l'allemande, même
si je me suis permis de transformer la tragédie en comédie : dans mon film
Faust et Marguerite seront sauvés de l'enfer, grâce à l'amour…
MAGGIE –
(Rêveuse)
Ah, l'Amour, l'Amour !…
WAGNER –
(Impatient)
Bon, ça suffit toutes ces élucubrations ! Nous sommes ici pour faire
passer un examen de faustologie. Professeur Lessing !
Que pensez-vous de l'œuvre de Monsieur Marlowe ?
LESSING –
Si l'on me considère comme le père du théâtre moderne allemand, Marlowe
devrait être honoré comme le père du drame anglais. En dépit de son décès
prématuré à l'âge de 29 ans, il a laissé plusieurs pièces d'une grande valeur
dramatique et poétique, dont La mort
d'Edouard II, Le Juif de Malte et,
surtout, son magnifique Doctor Faustus,
pièce étonnamment moderne. L'intensité de l'action est constante, la
versification puissante et riche, la succession des tableaux très harmonieuse…
sans parler de l'intervention des bouffons, qui apportent une dimension comique
à l'histoire. Je dois reconnaître que ni moi ni Goethe -presque deux siècles
plus tard- nous n'avons atteint un tel niveau dramatique. Son art est un plaisir qui chasse les idées noires.572 Nous sommes très redevables à cet homme.573 Pour toutes ces raisons, j'attribue
au Faust de Marlowe la note maximale
: 7 !
WAGNER –
Je vous jure que sitôt ma thèse de doctorat passée, je lirai le Doctor Faustus de
Marlowe. D'ores et déjà, je lui donne 7, moi aussi.
MAGGIE –
Et quel rôle Mister
Marlowe donne-t-il à l'Amour dans sa pièce ?
MARLOWE -
Faust prie Méphistophélès de lui donner une épouse. Mais quand le
Diable, grâce à une illusion magique, lui montre la réalité du mariage, il change
d'avis et réclame « a hot whore »…une putain chaude,
Miss Maggie.
MAGGIE -
Marguerite, une putain chaude ?
MARLOWE –
Dans mon Faust, il n'y a pas
de Marguerite, Miss Maggie… Seulement Hélène
de Troie, Alexandre le Grand et son bel amant, un jeune homme auquel, pour
ménager les convenances de l'époque, je donne l'apparence d'une femme.
Alexandre était homosexuel… comme moi, Miss Maggie.
MAGGIE –
Vous ? Homosexuel ?
MARLOWE –
Oui. Maintenant que je suis dans le monde des morts, je peux le dire
sans aucune vanité : j'étais un garçon d'une très grande beauté. Tous ceux que
je croisais -hommes ou femmes- tombaient amoureux de moi. Y compris
l'archevêque Whitfig et la vieille Elisabeth I, qui
me fit secrètement comparaître devant elle, car elle aimait les hommes encore
plus que le théâtre. Mais moi j'aimais mon
doux ami,574 Thomas Kyd,
camarade d'université avec lequel j'ai vécu plusieurs années. Pour mon malheur,
il m'a trahi. Payé par les services secrets du royaume, il me dénonça à la
police de la reine comme un hérétique et un blasphémateur. En effet, ni la
reine ni l'archevêque ne me pardonnèrent mon refus de me donner à eux corps et
âme. Aujourd'hui, je me console en Enfer : Elisabeth I est chaque jour jugée et
décapitée en expiation du supplice qu'elle infligea à sa parente, Marie Stuart,
décapitée par ses ordres, six ans avant mon propre assassinat.
MAGGIE –
Quelle horreur ! Une famille
royale experte en crimes familiaux ! Cela ne m'étonne pas du tout que vous ayez
peur des femmes, Mister Marlowe.
MARLOWE –
Non, je ne rejette pas les femmes, Miss Maggie. Je serais ravi de vous faire
l'amour en compagnie de ce jeune Docteur, par exemple.
(Il s'approche de
Wagner)
WAGNER -
Comment ça monsieur
?575 Un peu plus de
respect pour les examinateurs ! Pour vous punir, je vous enlève un point ! 6 au
lieu de 7 !
MARLOWE –
Mais vous, Miss Maggie, peut-être576 aimeriez-vous faire l'amour avec moi et ce
monsieur qui reste là tout seul dans son
coin, sérieux comme un pape ?577
(Il désigne Pessoa.
Celui-ci rougit, à la fois confus et flatté d'avoir été remarqué par
quelqu'un.)
MAGGIE –
A moi, ça ne me pose aucun problème. J'ai eu beaucoup d'admirateurs «
gays ». Souvent, ce sont les clients les plus agréables. Quant à votre note,
étant donné que Marguerite est restée au fond de votre encrier, il faudra vous
contenter de 6.
WAGNER –
Mister Christopher Marlowe a réussi
brillamment son examen en faustologie avec 19 sur 21
! Pour le moment, c'est le premier de la classe…
LESSING –
…Et Goethe, le dernier !
(On entend des
coups frappés à la porte)
MAGGIE -
Qui peut bien venir à cette heure ? J'ai dû oublier d'éteindre
l'enseigne lumineuse du cabaret…
(Elle se précipite à la porte, revient quelques minutes plus tard, tête
basse et se couvrant les seins.)
C'est un Monsieur qui dit s'appeler Thomas
Mann. Il m'a regardé de si haut, que je me suis sentie nue et honteuse comme
jamais auparavant dans ma vie. Permettez-moi de me retirer un instant. Je dois
m'habiller convenablement pour recevoir ce très respectable Monsieur…
(Obscurité, musique, bruits infernaux.)
SCENE V
(Un tourne-disque
diffuse une variation dodécaphonique d’Arnold Schoenberg. Dans le fond et sur
chaque côté de la scène sont accrochés de grands étendards portant le svastika
nazi et le portrait de Hitler. La lumière, devenant graduellement plus intense
et blanche, précède l'entrée d'un homme déjà très âgé, mais à la démarche
assurée, digne et altière.)
MANN –
(S'adressant à Lessing et à Wagner, qui ont
regagné leur place derrière le bureau.)
Messieurs, auriez-vous la bonté de me dire où je me trouve exactement ?
J'ai déjà tellement vécu, que ma mémoire récente tend à flancher. Par contre,
ma mémoire lointaine devient chaque jour plus lucide, et en même temps plus
obsessive, terriblement circulaire… Je crois que je devrais consulter un
gérontologue…
LESSING –
Soyez le bienvenu,
Maître578 : nous sommes au
«Château de Méphistophélès» et vous êtes ici pour passer un examen de faustologie. Mais auparavant, j'ai la triste obligation de
vous rappeler que -pour le plus grand malheur de l'humanité- vous êtes déjà
mort…
MANN –
Moi ? Mort ?
LESSING –
Oui, je suis désolé de vous le confirmer, mais c'est ainsi. Nous sommes
condamnés pour l'éternité. Pourtant, comme vous pouvez le voir, notre situation
n'est pas si mauvaise. De temps en temps, Méphistophélès accorde la permission
aux écrivains immortels de passer quelques jours dans ce château. Et avec un
peu de chance, nous pouvons fréquenter momentanément le monde des vivants pour
nous amuser avec eux et les traîner en Enfer.
MANN –
Puis-je savoir à qui j'ai
l'honneur de parler ?
LESSING –
Je suis Gotthold Ephraïm Lessing.
MANN –
(Reculant d'un pas,
en faisant une révérence)
Maître… Mon Maître… Est-il possible ! Je vous salue respectueusement…
Je m'excuse… Je suis si ému…579
MAGGIE –
(En retard, sortant
précipitamment de
Pardonnez mon retard… Heureusement je
vois que Herr Lessing s'est chargé des présentations…
(Elle prend place
près de Wagner en montrant ses jambes avec coquetterie.)
LESSING –
(S'adressant à
Thomas Mann)
Fräulein Maggie est
MANN –
Très honoré.
WAGNER –
L'honneur est pour nous… Nous vous serions reconnaissants de nous dire
qui est le Maître tant vénéré par Herr Lessing.
MANN –
(L'air triste et las, tandis que Pessoa met sur le tourne-disque «
Mon nom, Thomas Mann, est connu dans le monde entier. Mais peu savent que
depuis toujours j'ai été préoccupé par le
lien qui existe entre la sphère radieuse et le royaume inférieur.580 Adolescent, la
légende de Faust m'apporta une clef pour élucider un dilemme éternel : pourquoi
le Maudit est-il en corrélation
nécessaire et innée avec le Sacré ?581 Ma propre vie et l'effroyable situation que le destin imposa
à la sensibilité allemande,582 illustrent dramatiquement la relation dialectique du mal avec le bien
et le sacré.583
WAGNER –
Ce n'est pas très clair, ce que vous racontez-là, Monsieur Mann. Faites
un effort pour être plus simple si vous voulez réussir votre examen de faustologie.
MANN –
Excusez-moi, Monsieur. C'est mon
éducation de grand bourgeois qui me rend parfois abscons. Je continue : durant
plus de cinquante ans, je connus un succès retentissant. J'avais tout : amour,
richesse et gloire. Cependant, cet éclat que je croyais divin était, en vérité,
diabolique car le diable est inséparable
du tableau et affirme sa réalité complémentaire de celle de Dieu.584 L'organisation
sociale de mon pays, base de mon triomphe, évoluait vers sa transformation dans
le plus épouvantable des cancers : le nazisme hitlérien. O Allemagne ! tu roulais à l'abîme ! Le désordre fantastique d'alors,
qui bafouait la terre entière et cherchait à l'épouvanter, contenait déjà en
germe beaucoup de l'invraisemblance monstrueuse.585 Et moi, avec mon génie acquis et funeste, corruption coupable et morbide de
dons naturels, résultat d'un effroyable pacte586 avec le Mauvais, je constatai que l'Etat allemand monstrueux serrait dans ses
tentacules le continent européen.587 A
cette époque, l'Allemagne, les joues brûlantes de fièvre, titubait, à l'apogée
de ses sauvages triomphes, sur le point de conquérir le monde grâce à ce pacte avec le Mauvais qu'elle était résolue à observer et
qu'elle avait signé de son sang.588
MAGGIE –
Je vous conseille de surveiller vos paroles, Herr
Mann. Nous sommes ici au MephistoSchloss.
Vous n'avez pas intérêt à médire de notre patron. Cela peut vous coûter très
cher…
MANN –
Pardon, Fräulein Maggie. Je
voulais simplement raconter que je changeai de route, et que j'utilisai toutes
mes forces pour combattre les ténèbres qui envahissaient ma vie et celle de mes
congénères. Je me transformai en propagandiste politique, et je parcourus des
continents entiers pour apporter ma parole où cela était nécessaire. Mais c'est
avec mon œuvre Doktor Faustus que
j'ai essayé d'asséner un coup fatal à ce qui existe de plus démoniaque dans
notre humanité contemporaine. Malheureusement, mon repentir -comme celui de
Faust- fut trop tardif. Personne ne put empêcher l'holocauste de dizaines de
millions d'hommes et j'ai dû assister -oh ! châtiment infini- à une double
tragédie : les démons étreignant ma
patrie qui s'effondra,589 ainsi que le désespoir subséquent
et le suicide de mon fils bien aimé, Klaus.
WAGNER –
Si d'aussi grandes douleurs sont le prix à payer pour la célébrité et la
richesse, je préfère ne pas passer mon examen. Je renonce à mon doctorat !
MAGGIE –
Ne sois pas poltron, mon biquet. Même si tu ne le veux pas, tu seras
Docteur. Je me charge de tes examinateurs ! Mais revenons à Monsieur Mann. (S'adressant à Lessing)
Je ne comprends pas pourquoi, après tant de tourments et de souffrances,
il a été condamné à l'Enfer.
LESSING –
D'abord, jolie Fräulein, Herr Thomas Mann
-tout comme moi- est Allemand. Et il n'y a pas de meilleur passeport pour
entrer en Enfer que d'être Allemand. Pour tout vous dire, le premier supplice
qui attend les pauvres condamnés qui ne sont pas Allemands, c'est d'apprendre
l'allemand pour pouvoir lire le règlement des lieux. Telle est notre supériorité
sur les autres nations ! Mais là n'est pas la cause principale de la présence
de Herr Mann en Enfer. Non. Rappelez-vous que lui,
comme Goethe, Lenau, moi et beaucoup d'autres, nous sommes auteurs d'un Faust. Et qui dit Faust, dit
Méphistophélès . Vivants, nous avons fait ce que nous voulions de lui. Morts,
il fait ce qu'il veut de nous. Tel quel.
WAGNER –
Bon ! Dépêchons-nous de terminer
cet examen. Professeur Lessing, pouvez-vous nous faire part de votre opinion
sur l'œuvre de Monsieur Mann ? Les heures passent vite et nous sommes pressés.
LESSING –
J'ignore de quelles heures vous me parlez, mein klein Doktor.
Au «Château de Méphistophélès», le Temps n'existe pas… Mais voici mon opinion
sur Doktor Faustus de
Thomas Mann. Je pense qu'aucun spécialiste en littérature ne peut nier la
qualité de la prose et l'humour qui émane de ce roman, très certainement l'un
des plus importants du XXe siècle…
MANN –
Vos louanges me font mal, Maître. Je ne les mérite pas…
LESSING –
Attendez, attendez, Herr Mann ! Je n'ai pas
encore fini. En effet, probablement à cause des conditions douloureuses dans
lesquelles ce Faust fut écrit,
l'auteur commet une erreur de perspective qui -en d'autres circonstances-
aurait pu être évitée. Je regrette que le protagoniste principal -Adrien- soit
musicien et non écrivain. Car, malgré la richesse des descriptions des
partitions musicales, le lecteur n'entendra jamais une seule note des
compositions dodécaphoniques d'Adrien. Seul un compositeur peut remplir le
silence avec son imagination sonore, mais pas un lecteur ordinaire.
MANN –
Vous avez raison, Herr Lessing. Mon livre est trop exigeant, trop
intellectuel pour un lecteur moyen. De plus, j'ai voulu cacher à tout prix mon
homosexualité, quitte à paraître un auteur pudibond et puritain.
LESSING –
Justement. Doktor Faustus
aurait gagné en intérêt si le personnage central avait été inspiré non par la
vie du créateur de la musique dodécaphonique -Arnold Schoenberg- mais par la
vie de Thomas Mann lui-même. Il en résulte que le roman est trop dense,
l'histoire trop longue et, parfois, ennuyeuse. Quant au mythe faustien,
celui-ci me paraît presque anecdotique, trop dilué dans les proportions
océaniques du livre. Pour toutes ces raisons, et pour ne pas devenir trop lourd
moi aussi, je terminerai -malgré ma profonde admiration pour l'auteur de
MANN –
C'est trop gentil, Maître. Je ne
le mérite pas…
WAGNER –
Alors, pour vous faire plaisir, je vous mets un point de moins : 5,5. Le
livre est si gros qu'il me rappelle mes manuels de médecine les plus épais.
J'ai l'impression que je ne parviendrai jamais à le lire.
LESSING –
Ne vous inquiétez pas, Docteur ! Vous aurez tout le temps nécessaire en
Enfer pour le lire et le relire !
MAGGIE –
(Faisant la
coquette, elle joue avec son crayon en l'introduisant et le sortant de sa
bouche.)
Et quel est le rôle de Marguerite dans ce livre ?
MANN –
(Affligé, d'une
voix caverneuse et froide)
Aucun. Adrien n'a eu qu'une seule relation sexuelle dans toute sa vie,
avec Esméralda, une prostituée atteinte de syphilis. Au cours de cette unique
relation, que je ne décris pas à cause
de l'obscénité extérieure de cette pratique,590 elle le mit en garde contre son corps, mais il
négligea l'avertissement.591 Alors, elle lui
inocula ses tréponèmes et lui transmit la syphilis. Plus tard, déjà infecté,
Adrien tombera amoureux de Marie, une jeune française. Mais elle le dédaigna et
s'enfuit avec le meilleur ami d'Adrien. C'est tout…
MAGGIE –
Une montagne de feuilles
dépourvues de sexualité ?
LESSING –
C'était déjà le cas dans
MAGGIE –
Très mauvais ! Il y
a quelque chose de malsain chez un homme qui fuit le vin, le jeu et la
compagnie des femmes charmantes. De tels gens, ou bien sont gravement malades,
ou bien haïssent en secret leur entourage.592 J'accorde sans
doute au sexe et au plaisir plus d'importance qu'ils n'en ont, mais les nier ou
les cacher comme s'ils étaient honteux, me semble lamentable. Par conséquent,
malgré le respect ou, plutôt, la crainte que m'inspire Herr
Thomas Mann, je lui attribue, pour son Doktor Faustus, la note 3.
LESSING –
Ouf ! Quel soulagement ! J'ai cru que vous lui mettriez 0.
WAGNER –
Monsieur Thomas Mann a obtenu son Doctorat en Faustologie
avec 15 sur 21 ! Pour célébrer cet évènement, le jury invite chacun à passer au
buffet. Musique Maestro !
(Pessoa met sur le tourne-disque une joyeuse danse populaire portugaise,
tandis que Lessing et Wagner se précipitent pour manger et boire. Thomas Mann
prend Maggie par le bras et la conduit vers l'avant de la scène.)
MANN –
Vous avez raison, Fräulein
Maggie. Vous avez dit la vérité. Vivant, j'étais tristement prude,593 mais je l'ai payé
très cher. Dans mon Faust, le domaine de l'amour, du sexe, de la
chair, n'est jamais abordé. De femmes, d'épouses, de filles, d'amourettes, il
n'en est pas question.594 Je n'ai jamais connu la véritable jouissance sexuelle.
Par bonheur, il en est autrement au «Château de Méphistophélès». L'Enfer a
aussi ses avantages ! Me permettez-vous de vous inviter à danser ? Pour l'amour
il n'est jamais trop tard, qu'il soit homosexuel ou hétérosexuel !
MAGGIE –
Naturellement, Herr Mann. Danser avec un écrivain si illustre est un
honneur pour toute femme.
(Elle ôte la veste de son tailleur et s'abandonne dans les bras de Thomas
Mann, qui se révèle excellent danseur. Au milieu de l'allégresse générale, on
entend des coups frappés à la porte et un vacarme grandissant.)
WAGNER –
(Buvant une coupe de champagne, il
se dirige sur la pointe des pieds vers la porte.)
Chut ! Silence… Eteignez la lumière…
MAGGIE –
Qui sont ces
grossiers trouble-fêtes à notre porte ? Allez, qu'on calme leur tapage ! Qu'on
leur ouvre et puis qu'on leur demande ce qu'ils viennent faire ici.595
(Pessoa arrête le
tourne disque. Obscurité.)
SCENE VI
(La scène s'éclaire à
nouveau. Les étendards ont été retournés et maintenant on voit la faucille et
le marteau communistes, avec un portrait de Staline à la place de celui
d’Hitler. La lumière a surpris les danseurs qui s'embrassent à pleine bouche 596
tandis que Pessoa boit directement à la bouteille. Wagner entre au pas de
course.)
WAGNER –
Mademoiselle Maggie ! Mademoiselle Maggie ! Il y a un tas de gens qui
veulent profiter de la fête ! Un type parle français et dit qu'il s'appelle
Paul Valéry. Un autre se dit écrivain soviétique et prétend s'appeler Mikhaïl
Boulgakov. Il y a aussi un Anglais qui dit s'appeler Lawrence Durrell, sans compter un tas d'écrivains espagnols et
latino-américains dont je n'ai jamais entendu parler. D'après eux, ils sont
tous docteurs en faustologie, mais ils aimeraient
quand même passer de nouveau leur examen pour ensuite le fêter avec vous dans
la Fornicatiozimmer.
MAGGIE –
(Quittant les bras
de Thomas Mann)
Tu sais bien, mon chéri, qu'il y a des règles précises dans cette
maison. Personne ne peut entrer ici s'il n'a pas son certificat de décès parfaitement
à jour. Tu peux laisser entrer les deux premiers parce qu'ils sont morts avant
1950, mais dis aux autres qu'ils doivent attendre des jours meilleurs… (Elle retourne danser avec Thomas Mann,
tandis que Wagner sort chercher les nouveaux invités.)
WAGNER –
(De retour, imitant
un laquais.)
Monsieur Paul Valéry, et sa
maîtresse, Lust. Monsieur Mikhaïl Boulgakov et sa
maîtresse, Marguerite Nikolaïevna !
(Entrent en scène un
vieillard d'aspect décrépit, escorté d'une adolescente en minijupe et à la
beauté exubérante, ainsi qu'un médecin d'âge mûr, habillé d'une blouse blanche
et accompagné d'une femme d'une trentaine d'années portant un chapeau et un
manteau de soie noire, 597 entrouvert sur sa splendide nudité.)
MAGGIE –
(Inquiète et
jalouse)
Lust et Marguerite ! Vos prénoms me
disent quelque chose…
(Les deux jeunes
femmes se prosternent aux pieds de Maggie, en signe de soumission.)
LUST –
Chère Madame, permettez-nous de vous présenter nos hommages et notre
plus profond respect…
MARGUERITE
NIKOLAIEVNA –
Maggie, ma reine,598 voulez-vous nous prendre à votre service ?
Nous ferons tout pour vous soulager de vos efforts.
WAGNER
Vous auriez tort de
sous-estimer les capacités de Maggie…599
MAGGIE –
(Avec un sourire de
soulagement)
Bien, bien. Je suis heureuse de vous recevoir au «Château de
Méphistophélès». Mes érothérapeutes sont toutes
occupées et je ne suffirai pas toute seule à satisfaire autant d'écrivains…
LUST et MARGUERITE
–
Nous sommes ravies, reine.600 Ce sera un plaisir
de vous aider dans votre travail. Nous savons comment nous y prendre avec ces
écrivains libidineux…
LUST –
Moi, je suis une très habile fellatrice…
MARGUERITE N. –
Et moi, une insatiable sodomite…
LUST –
En quinze minutes, je peux, avec mes lèvres de feu, extraire jusqu'à la
dernière goutte du sperme du plus inhibé des poètes…
MARGUERITE N. –
Et moi, je peux, avec la douce et chaude profondeur de mes fesses,
apaiser toute une meute de romanciers enflammés.
MAGGIE –
Fort bien. Vous n'aurez pas le temps de vous ennuyer dans ce cabaret.
Les clients ne sont plus très jeunes, mais, en revanche, ils sont très
exigeants et pervers. Avant de passer à l'action, pouvez-vous nous présenter
vos amants, ces Messieurs Valéry et Boulgakov ?
WAGNER –
Excellente idée ! Au risque de passer pour un béotien, j'avoue que je
n'ai jamais entendu parler d'eux.
(Sans y prêter
attention, il prend le verre d'eau de vie que lui tend Pessoa.)
LUST –
Voici le récit de ma vie avec non
pas mon Maître, comme il le prétend, mais avec mon geôlier et mon bourreau…
VALERY –
(Se prenant la tête
à deux mains)
C'est insupportable !601 Pitié, Lust. Ne recommence pas avec tes reproches…
LUST –
(Arrogante et vindicative)
Cet homme -auquel je suis enchaînée pour l'éternité- est né avec un
cerveau prodigieux. Très tôt, il a découvert le secret du développement de la
psyché. Son entreprise s'attaquait à ce
qui est en l'âme d'infus et d'insaisissable, et que nous sentons du plus haut
prix, mais qui se dérobe infiniment.602
WAGNER –
Pourriez-vous recommencer,
Mademoiselle
MAGGIE –
Eh, là ! Arrête ton char, mon biquet ! Ici, la seule autorisée à te
sucer, c'est moi !
LUST –
Je voulais dire que, encore très
jeune, Paul comprit que l'intellect à
lui seul ne peut conduire qu'à l'erreur et qu'il faut donc s'instruire à le soumettre
entièrement à l'expérience.603 Poussé par ses
découvertes, il dédaigna ses talents poétiques pour rechercher, dans la
solitude et la tranquillité, la stabilité lumineuse de la conscience. Le monde
l'ignora longtemps, mais -ô, vanité humaine !- alors qu'il s'approchait de ses
objectifs de jeunesse, alors qu'il frôlait l'état
suprême604 de la conscience,
il céda à la tentation du Démon. Amoureux de sa propre intelligence, il tomba
dans le piège tendu par un groupe d'écrivains et d'éditeurs parisiens, qui lui
promettaient honneurs, argent et plaisirs…
VALERY –
ça suffit, Lust,
ça suffit ! Ah ! Celle-ci est une femme
insupportable !605
LUST –
Il était presque quinquagénaire quand il a recommencé à écrire et à
publier, passant, en un clin d'œil, de l'ombre à la lumière. Puis, pendant plus
de 24 ans, le Démon allait lui donner tout ce qu'il désirait… y compris
moi-même. Mais le moment de rendre des comptes, de livrer son âme, arriva. Le
Poète -qui s'était mis à écrire à toute vitesse un Faust pour conjurer le pacte qui l'unissait au Mal- mourut sans
avoir eu le temps d'achever son œuvre et de recevoir la plus haute récompense
attribuée par la société à un écrivain : le Prix Nobel de Littérature, qui lui
avait été promis dès la fin de la guerre en 1945…
THOMAS MANN –
(S'approchant de
Valéry et lui faisant une révérence)
Cette jeune personne peut bien dire ce qu'elle voudra, je m'incline
devant l'un des plus grands Faust
modernes. Tant que tournera la terre, je
veux que le nom de Faust soit admiré partout, jusqu'aux confins du monde.606 Et qui mieux que Paul Valéry incarne le mythe de Faust
? La création artistique exige, à un moment ou un autre, de pactiser avec les
forces du Mal !
VALERY –
Je remercie le grand maître allemand de l'honneur qu'il veut bien me
faire. Je n'ai pas eu la possibilité de citer dans mon Faust sa propre œuvre faustienne, car je suis mort en 1945, un an
avant la publication de Doktor Faustus. Si
je pouvais revenir en arrière, je le citerais abondamment. Les plus grands m'ont donné l'exemple des emprunts !
WAGNER –
Faites attention aux droits d'auteur, Monsieur Valéry. Ça aussi peut
vous coûter très cher…
VALERY –
(Dédaignant l’interpellation de Wagner)
Quant à Lust, ce qu'elle dit de moi est la
vérité. Pourtant, ma plus grande douleur n'est pas d'avoir laissé mon Faust inachevé, ni même de n'avoir pas
reçu le Prix Nobel qui, effectivement, devait m'être attribué. Non. Mon plus
grand regret, que je dois maintenant supporter pour l'éternité, c'est d'avoir
trahi mes idéaux de jeunesse. Ma conscience aurait pu être le flambeau même de ce temps !607 Or, je dois me contenter de figurer
dans l'histoire de la littérature parmi les innombrables écrivains qui ont pour
seul mérite de peupler les bibliothèques. Et au lieu d'être devenu un guide
pour les nouvelles générations, mission pour laquelle je devais accepter de
mourir quasiment inconnu, je me suis moi-même perdu dans les flatteries et les
louanges des mondains qui m'entouraient…
WAGNER –
Vos épreuves ne sont pas encore terminées, Monsieur Valéry . Vous devez
encore passer votre examen de faustologie. Nous
sommes ici pour cela. Que pensez-vous du Faust
de Paul Valéry, Professeur Lessing ?
LESSING –
Je pense que Monsieur Valéry est trop sévère à son encontre… Il a donné aux hommes une œuvre admirable.608 Et même s'il n'a
pas tenu son pari jusqu'au bout, à savoir, écrire un Faust multiforme qui devait comprendre
un nombre indéterminé d'ouvrages plus ou moins faits pour le théâtre : drames,
comédies, tragédies, féeries selon l'occasion : vers ou prose, selon l'humeur,
productions parallèles, indépendantes,609 etc., son travail
est celui qui montre le mieux l'origine mentale du démoniaque. D'ailleurs,
malgré sa tonalité par trop discursive, son Faust
ne manque pas de tension dramatique. Je lui mettrai donc 6.
WAGNER –
Moi aussi, pour les mêmes
raisons, je lui mets 6 !
MAGGIE –
(S'adressant à Lust)
Dis-moi, ma jolie. Comment Monsieur Valéry te traite-t-il dans son Faust ?
LUST –
Je suis certaine que peu
d'adolescentes se sont offertes avec autant de pureté et de passion à un homme.
Aucune n'a idolâtré un écrivain comme je l'ai idolâtré. Il me paraissait un dieu. Sa voix se faisait suivre, comme une musique,610 je buvais ses
paroles comme du nectar céleste. J'étais prête à tout pour lui : non seulement
écrire sous sa dictée, ordonner ses papiers, préparer son lit et ses repas,
tâches qu'il me réclamait hautainement, mais aussi je l'aurais caressé,
embrassé, et léché comme une chienne. Mais, lui, narcisse entre les narcisses,
orgueilleux et méprisant, il n'a jamais voulu se laisser toucher. «Pourquoi m'as-tu touché ?»611 me reprochait-il
lorsque, par hasard, je le frôlais.
MAGGIE –
Quelle horreur ! Vous avez tort
d'accuser et de mépriser les femmes de cette sorte,612 Monsieur Valéry.
Si ce n'était par égard pour ma compatriote, la grande poétesse chilienne
Gabriela Mistral, qui vous a rendu un chaleureux hommage au cours de la remise
du Prix Nobel -prix qu'elle a reçu à votre place alors que vous étiez déjà un
cadavre- je vous mettrais 0. Mais, par respect pour l'opinion d'une femme que
j'admire, je vous accorde 3.
WAGNER –
Monsieur Paul Valéry a été reçu à son examen de faustologie
et a obtenu son doctorat avec la note de 15 sur 21 ! Ex æquo avec Thomas Mann !
BOULGAKOV –
C'est injuste ! Valéry mérite
plus que cela ! Son œuvre est
immortelle.613 D'ailleurs, le
fait que son drame soit resté inachevé n'est nullement un défaut. Cela
illustre, une fois de plus, la nature perpétuellement renouvelable de la
légende faustienne.
MAGGIE –
Quelle audace ! Que faites-vous
de nos commandements !614 On ne discute pas l'avis de notre commission…
Marguerite Nikolaïevna, auriez-vous la bonté de nous présenter votre compagnon ?
MARGUERITE N. –
(Elle ôte son
chapeau et son manteau de soie faisant ondoyer sa souple chevelure noire, naturellement ondulé 615 et
s'assoit, complètement nue, sur une chaise.)
La vie de Mikhaïl a été totalement opposée à celle de Valéry. Il est
mort dans un coin reculé de Moscou, à l'âge même où le poète français
commençait à gravir les marches de la célébrité. Pourtant, le début de sa vie
avait été couronné par le succès… Mais je crois qu'il saura vous raconter tout
cela bien mieux que moi…
BOULGAKOV –
(Après avoir bu cul
sec un verre d'eau de vie que Pessoa a sortie de son porte-document et qu'il
offre -toujours silencieux- à chacun).
Raconter ma vie ? Pourquoi faire ? L'important c'est mon œuvre !
MAGGIE –
(S'impatientant)
Je constate que l'un de vos traits de caractère est la rébellion,
Monsieur Boulgakov. Ou bien vous nous racontez votre vie, ou bien je vous réexpédie
tout droit en Enfer… Sans Marguerite, évidemment !
BOULGAKOV –
Ayez la générosité de me pardonner, radieuse reine Maggie. La faute en
est à l'eau de vie, maudite soit-elle !616
(Se sentant fautif, Pessoa court se cacher derrière sa malle.)
Voici, pour vous être agréable,
quelques évènements chronologiques… Je suis né à Kiev en 1891, dans une famille
petite-bourgeoise et je suis mort à Moscou en 1939, à quarante-huit ans, des
suites d'une insuffisance rénale.
WAGNER –
Dommage ! Vingt ans plus tard vous auriez été sauvé par une dialyse. La
mort par insuffisance rénale est particulièrement cruelle. Le malade atteint
ses derniers moments dans une totale lucidité, parfois sans aucune douleur,
sans aucun malaise. On peut regarder la mort face à face, en toute
tranquillité.
MAGGIE –
Tu deviens trop bavard, chéri. Laisse parler le Docteur Boulgakov.
BOULGAKOV –
Il dit vrai, Mademoiselle Maggie.
Je suis mort comme quelqu'un qui, attaché dans une piscine vide, verrait monter
peu à peu le niveau de l'eau, des pieds jusqu'à la tête. Bref. Je devins
médecin à vingt-cinq ans, mais j'exerçai très peu ma profession. Lors du
triomphe de
MARGUERITE N. –
(Allumant une cigarette au bout d'un fume-cigarette)
Tu oublies de dire que ton plus grand succès a été ta pièce -Les Journées des Tourbine-
montée par le Théâtre d'Art de Moscou.
BOULGAKOV –
Justement, j'allais le dire.
C'est l'histoire d'une famille de « blancs » pendant la révolution, inspirée en
partie par la vie de ma propre famille. Tout allait bien pour moi quand,
soudainement, je commençai à subir les attaques d'un des poètes
révolutionnaires que j'admirais le plus -Vladimir Vladimirovitch
Maïakovski- qui m'accusait d'être un écrivain bourgeois.
WAGNER –
Maïakovski ? Son nom me dit quelque
chose… N'était-il pas communiste ?
BOULGAKOV –
Si. Et son prestige était tel que le monde littéraire, qui jusqu'alors
m'avait été toujours favorable, se retourna contre moi. Du jour au lendemain,
malgré l'appui de Gorki, je cessai d'être publié et mes pièces d'être jouées. A
trente-huit ans ma carrière publique était pratiquement terminée et moi,
condamné au tourment le plus douloureux que l'on puisse infliger à un écrivain
: le silence, la censure, l'ostracisme. C'est alors que ma salvatrice entra dans
mon destin, cette femme hors du commun qui m'accompagne toujours aujourd'hui…
En la rencontrant, l'amour nous frappa
comme l'éclair !617
MARGUERITE N. –
Non. Non. Ce n'est pas moi qui
l'ai sauvé, mais LUI, Monseigneur, le Démon…
BOULGAKOV –
Parce que toi, tu l'as prié de
m'aider. En effet, Marguerite, affolée par la mélancolie qui commençait à me
consumer, se décida à invoquer Satan. Celui-ci -ô surprise effroyable !- me
téléphona à la maison, peu de temps après le suicide de Maïakovski, pour me
demander en quoi il pouvait m'être utile.
TOUS –
Satan vous a téléphoné ?
BOULGAKOV –
Parfaitement. Et c'est Marguerite qui me dicta la réponse. Peu après, je
fus réintégré au Théâtre d'Art de Moscou en qualité de Directeur Adjoint. Et ma
pièce sur les « blancs » de Kiev, tant dénigrée par Maïakovski, fut de nouveau
présentée avec l'appui officiel et explicite du Prince des Ténèbres
Soviétiques, Joseph Staline !
TOUS –
Staline !!
BOULGAKOV –
Oui, Staline. Je n'avais plus que
10 ans à vivre et, d'après notre pacte, je devais écrire un livre sur le tyran,
vantant ses réalisations dans le monde agricole. Conseillé par Marguerite, je
fis semblant de consacrer la plus grande partie de mon temps à la rédaction de
ce dithyrambe. En réalité, j'écrivais en secret mon Faust, dans lequel je réglais mes comptes avec le régime stalinien,
et bien sûr, avec moi-même…
MARGUERITE N. –
Et en mon honneur, il appela son
Faust, Le Maître et Marguerite.
MAGGIE –
Quelle élégance, quel beau geste d'amour pour une femme ! Dès à présent,
je lui mets 7 !
WAGNER –
(Dépassé par les
évènements)
Ne nous précipitons pas, s'il
vous plaît ! Herr Lessing, que pensez-vous du Faust de Monsieur Boulgakov ?
LESSING –
C'est un Faust très original,
grâce au rôle attribué à la femme. Le texte est délicieux, plein d'un comique
digne de Marlowe. Certes, l'écrivain soviétique détourne le mécanisme
traditionnel du mythe, car c'est Marguerite et non Faust qui invoque le Diable
et pactise avec lui. Le mythe faustien, traditionnellement masculin, se
féminise. Pour ces raisons, j'attribue au Maître
et Maguerite la note 7, comme Fräulein Maggie.
WAGNER –
Moi aussi je lui mets 7 !
Conclusion : la commission a l'honneur d'annoncer que le Docteur Mikhaïl
Boulgakov a obtenu son doctorat en faustologie avec
la note la plus haute : 21 sur 21. Bravo Mikhaïl Boulgakov !
LUST –
(Furieuse)
Ah non ! On ne va pas donner le premier prix à un écrivain communiste !
Ça alors ! Si j'avais su, je ne serais jamais venue… Paul, mon petit poupougnon,618 on s'en va !
(On entend des cris et des coups sur la
porte d'entrée, qui finit par céder. Une foule d'artistes et d'écrivains entre
et, parmi eux, les auteurs qui ont déjà participé à l'examen de faustologie. Goethe
a changé de tenue. Il est à présent vêtu d'une redingote puce, dans
l'échancrure de laquelle luit un foulard d'un blanc immaculé, piqué en son
centre d'une épingle d'or. 619 Liszt fait entrer son piano par une fenêtre,
tandis que Murnau précède ses cameramen…)
TOUS –
Magouille ! Magouille ! Magouille !
LUST –
(Profitant de la
confusion, elle s'approche de Marguerite Nikolaïevna
et lui donne une gifle.)
Tiens, salope !
(Elles roulent
toutes les deux sur le sol, luttant et s'arrachant les cheveux. Valéry et
Boulgakov essaient de les séparer, mais ils sont interpellés à leur tour par
d'autres écrivains. La bagarre devient générale, malgré les efforts de Pessoa
pour calmer les esprits.)
MURNAU –
(Il brandit un
revolver et tire en l'air)
Lumière ! Musique ! Action !
(Liszt, qui a mis
un chapeau de cow-boy, joue au piano une polka texane, tandis que Murnau
démarre le tournage d'une scène en rien différente d'une rixe de « saloon » au
Far-West. De son côté, Maggie s'est réfugiée dans
LESSING –
(Au milieu du tumulte)
STOP !
(Chacun reste en
silence figé à sa place)
Quoi ? Vous aussi vous voulez passer votre examen de faustologie
? C'est trop tard ! Fernando Pessoa arrive toujours trop tard ! Il est mort
quasiment inconnu dans sa Lisbonne natale. Ce n'est que maintenant que son Faust ésotérique -celui qui s'approche
au plus près de
PESSOA
(Un coup de tonnerre
assourdissant retentit, suivi d'éclairs et de fumerolles qui présagent
l'apparition du Malin. Obscurité.)
Méphistophélès by Eric Deschamps
SCENE VII et
FINAL
(Coups de tonnerre. Entrent Lucifer, Belzébuth et Méphistophélès,620 qui descendent d'un vaisseau spatial, précédés de
Maggie. Belzébuth est couronné par de
grandes cornes ornées de cinq ramifications.621 Tous
trois sont habillés en médecins. Maggie porte une guêpière rouge
phosphorescente, des cuissardes à talons aiguilles. Elle agite un terrible
fouet.)
BELZEBUTH –
(S'adressant à ses acolytes)
Chers assistants, Vénérable
Méphistophélès, Estimé Lucifer. Nous
remontons de l'infernal Hadès pour voir tous les sujets de notre monarchie, ces
âmes dont le vice a fait les fils noirs de l'Enfer. Faust est leur chef.622 Alors, nous allons récompenser ces
incorrigibles écrivains. Même morts, ils continuent à se disputer entre eux.
Chacun veut être le plus grand, le plus beau, le plus célèbre. C'est pour cela
qu'ils sont tous en Enfer. Orgueil, luxure, envie, lâcheté, avarice, traîtrise,
gourmandise, paresse, colère ! Les 7 péchés capitaux ne sont pas assez nombreux
pour définir la conduite de ces tristes sirs…
(Tonitruant)
Tout le monde à quatre pattes et le cul en l'air ! Maggie ! Fidèle
prêtresse : donnez-leur le châtiment qu'ils préfèrent !
MAGGIE
Salvete Orientis Princeps Belzebub !623
(Elle fait claquer
son fouet au-dessus de leur tête et s’apprête à flageller les faustologues.)
WAGNER –
(Claquant des
dents)
Ce n'est pas ma faute, Haute
Révérence !624 Je ne suis pas
écrivain ! Faites-moi grâce et pardonnez
au malheureux que je suis toutes les manifestations irrespectueuses,
volontaires et involontaires envers votre Essence Sacrée !625 Je ne suis qu'un
simple Interne en Médecine, rien de plus ! Je suis venu ici uniquement pour
soutenir ma thèse de doctorat ! Je n'ai jamais lu un seul Faust, je vous le jure !
BELZEBUTH –
Tant mieux !
WAGNER –
(Rassuré)
Merci pour votre compréhension, Monsieur Belzébuth. Soit dit en passant,
je vous rappelle que vous n'avez toujours pas passé votre examen de faustologie. Pour le moment, Boulgakov est le premier de la
classe et Goethe le dernier.
BELZEBUTH –
Ha ! Ha :! Ha ! Je te remercie mon bon vieux de m'avoir
rappelé cela.626 Mais Belzébuth n'a pas besoin de passer
d'examen. Par contre toi, tu es venu dans mon château pour passer ton doctorat
! Maggie : demandez à ces Messieurs quelle note ils attribuent à cet aspirant plef-perf-nouf !
MAGGIE –
(Fouettant à droite
et à gauche)
Répondez, espèce de
vauriens, chiens exécrables !627
TOUS, UN par UN –
Zéro, zéro, zéro, zéro, zéro,
zéro !…
BELZEBUTH –
Ha ! Ha ! Ha ! Wagner a été
recalé avec un zéro ! Jamais il ne sera Docteur !
(Coups de tonnerre,
éclairs, obscurité totale.)
FINAL
WAGNER –
(Eclairé par un
faisceau de lumière blanche, il se réveille assis face à sa table de travail,
la tête posée sur ses livres.)
Quel cauchemar affreux ! Et je n'ai toujours pas passé mon examen !
Qu'étais-je donc en train de rêver ? Les images m'échappent… Il faut que je les
retienne… Qu'est-ce que j'ai vu en dernier ? Belzébuth escorté par
Méphistophélès et Lucifer ! Diable !… Le Diable existe-t-il ou pas ? En tout
cas, il existe dans ma fantaisie, comme
une création de mon esprit…628 Folle fiction ! Et dans la réalité ? …
(Il se retourne
vers les spectateurs comme pour leur demander de l'aide)
Mais la fiction ne fait-elle pas
partie de la réalité ? Si. Si. Je recommence : le Diable fait partie de la réalité
par le truchement de la fiction. Et qui maîtrise le va et vient de la fiction
en moi ? La conscience ? Et la conscience ? Qu’est-ce que la conscience ?…
(Tête basse, il
s'assoit dans un coin, se gratte la tête en réfléchissant. La lumière commence
à baisser. Obscurité.)
RIDEAU
INDICE
FAUSTOLOGIQUE
« L’apparence et le jeu se heurtent à
la conscience de la littérature. La littérature veut cesser d’être une
apparence et un jeu, elle veut devenir une connaissance lucide (…) Avec un
profond souci je me demandais quels efforts, quels trucs intellectuels, quels
biais et quelles ironies seraient nécessaires pour sauver la littérature, la
reconquérir et réaliser une œuvre qui sous le travesti de la naïveté,
révèlerait l’art de connaissance lucide grâce auquel elle a été obtenue.»629
Thomas MANN
Doktor Faustus
Mephistopheles flying over
Wittenberg, in a lithograph by Eugene Delacroix
PORTRAIT DE F.
PESSOA : “LENDO OPHEU” – ALMADA
NEGREIROS
PORTRAIT DE FERNANDO PESSOA
Retrato de
Fernando Pessoa (Portrait de Fernando Pessoa). Almada Negreiro
http://dubleudansmesnuages.com/?p=5906
537 GOETHE,
Faust, La nuit de Walpurgis
(Col. Bilingue, Ed. Aubier Montaigne, Trad. Henri
Lichtenberger, p.141)
SERVIBILIS
Tout à l'heure, on va recommencer
Une pièce nouvelle, la dernière de sept pièces ;
C'est l'usage d'en donner ici ce nombre.
Un dilettante l'a écrite,
Et des
dilettantes aussi la jouent.
SERVIBILIS
Gleich fängt man wieder an.
Ein neues Stück, das letzte Stück von sieben;
So viel zu geben, ist allhier der Brauch.
Ein Dilettant hat es geschrieben,
Und Dilettanten spielen’s auch.
538 VALERY, Mon Faust, Acte III, Scène 4
(Col.
Idées, Ed. Gallimard, 1946, p.119)
LE DISCIPLE
… … Qu'est-ce que je fais ici ? Et quelle heure est-il ?
539
- VALERY – Mon Faust- Acte III – Scène 4
(Col. Idées,
Ed. Gallimard, 1946, p.119)
LE DISCIPLE
Mais je rêve peut-être encore
540 BUTOR-POUSSEUR « VOTRE FAUST » DEUXIEME
PARTIE
(NRF, Paris MCMLXII, p. 51)
BM : MamamimamimamimimimaMaggy grande loterie du tour de France les lèvres
rouges la langue rouge….
541 BOULGAKOV
« Le Maître et Marguerite », PII, X
(Ed. Robert Laffont, 1968, Trad.
C.Ligny, p.427)
- « Bah ! Mais c'est la maison des Ecrivains ! Sais-tu,
Béhémoth que j'ai entendu dire
- beaucoup de choses excellentes et fort flatteuses sur cette maison. Observe, mon ami, cette maison attentivement.
-
C'est
un plaisir de penser que sous ce toit se cache et mûrit toute une masse de
talents. »
(школьная Библиотека
- М.А. Булгаков
- МАСТЕР И
МАРГАРИТА - p.437)
Ба! Да ведъ зто
писательский
дом. Энаешь,
Бегемот, я очень
много хорошего
и лестного
сльшал про этот
дом.
Обрати внимание,
мой друг,
на этот
дом! Приятно
думать о том, что
под этой
крьшей скрывается
и выэревает
целая бездна талантов.
-
542 MARLOWE, Doctor Faustus, Acte IV, scène 5
(Col. Bilingue, Ed. Flammarion,1997, Trad. F. Laroque et J-P
Villquin, p.205)
LE CHARRETIER
Venez, mes seigneurs, je vais vous
emmener là où on trouve la meilleure bière d'Europe. Holà, l'hôtesse ! Où sont les filles ?
CARTER
Come, my
masters, I’ll bring you to the best beer in Europe.
What ho
hostess! Where be these whores?
543 BOULGAKOV
« Le Maître et Marguerite », PI, XVIII
(Ed. Robert Laffont, 1968, Trad. C.Ligny, p.250)
Pour un mignon tablier de dentelle
et une petite coiffe de dentelle blanche sur la tête.
(школьная
Библиотека
- М.А. Булгаков
- МАСТЕР И
МАРГАРИТА – p 271)
Открыла дверь девица,
на которой
ничего не было,
кроме кокетливого
кружевного
фартучка
и белой аколки на голове.
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
544 GOETHE,
« Faust I» Cabinet de travail
(Col. Bilingue,
Ed. Aubier Montaigne, Trad. Henri Lichtenberger,
p.60)
L’ECOLIER
Je
ne suis ici que depuis peu,
Et je viens, plein de dévotion,
Pour écouter et connaître un homme
Que chacun ici nomme avec respect.
/…/
Ma mère pouvait à peine se décider à me laisser partir ;
Je voudrais bien apprendre ici quelque
chose de bon.
SCHÜLER
Ich bin
allhier erst kurze Zeit,
Und komme voll Ergebenheit,
Einen Mann zu sprechen und zu kennen,
Den alle mir mit Ehrfurcht nennen.
/..../
Möchte gern
was Rechts hieraussen lernen.
-
545 ANONYME « HISTOIRE DU DOCTEUR JOHANN
FAUST », 14
(Historia del Doctor Johann Fausto,
Anónimo del siglo XVI, Ed. Siruela, 2004, p.68)
Pero
en todas sus opiniones y pensamientos era Fausto un hombre irresoluto y carente
de fe y esperanza.
Mais, dans toutes ses opinions et tous ses jugements,
Faust était un homme indécis et dépourvu
de foi et d’espérance
546 GOETHE, « Faust » Le jardin de Marthe, p.116
MARGUERITE
Sa présence me remue le sang.
D'ordinaire, je veux du bien à tous les
hommes ;
Mais autant j'ai soif de te voir,
Autant j'éprouve devant cet homme une secrète horreur,
Et je le tiens en outre pour un coquin !
Dieu me pardonne si je lui fais
tort.
MARGARETE
Seine Gegenwart bewegt mir das Blut.
Ich bin sonst
allen Menschen gut;
Aber wie ich mich sehne, dich zu schauen,
Hab’ich vor dem Menschen ein heimlich Grauen,Und halt’ihn für einen
Schelm dazu!
Gott verzeih mir’s,
wenn ich ihm unrecht tu’!
547) LESSING, D.Faust,
Acte I, Scène 4
Wer ist der Mächtige, dessen Rufe ich
gehorchen muss!
Du? Ein Sterblicher? Wer lehrte dich diese gewaltige Worte ?
548)
M.PETIT, Le Troisième Faust, Acte I, p.96
Dix mille dollars ! Où diable était enfoui le manuscrit de Faust ?
Verrai-je enfin, avant que le soleil ne se couche, s'ouvrir les portes du sanctuaire où était conservé le livre des livres, à l'abri des regards
profanes et de la poussière du siècle ?
549 - T.MANN, Le Docteur Faustus,
XXV
(Ed. Albin Michel, 1950, Trad.
Louise Servicien, p.312)
- Radotage !
(Doktor Faustus, Fischer Taschenbuch Verlag, 1986, p.230)
Faseley!
550 -
GOETHE, Faust I, La nuit
(Col. Bilingue, Ed. Aubier Montaigne, Trad. Henri
Lichtenberger, p.20)
WAGNER
-Excusez ! C'est une grande jouissance
Que de se plonger dans l'esprit des temps passés
De voir, ce qu'avant nous un homme sage a pensé,
Et comment, en fin de compte, nous avons progressé
jusqu'à des hauteurs si merveilleuses.
WAGNER
-Verzeiht ! es ist ein gross Ergetzen,
Sich in den
Geist der Zeiten zu versetzen ;
Zu schauen, wie vor uns ein weiser Mann
gedacht,
Und wie wir’s dann zuletzt so herrlich weit
gebracht.
-
551 - BOULGAKOV, Le Maître
et Marguerite, PII, V
(Ed. Robert Laffont, 1968, Trad. C.Ligny, p.331)
-Reine… mon oreille va enfler… pourquoi gâter le bal à cause d'une oreille enflée ? …
Juridiquement parlant, d'un point de vue juridique…
Je me tais, je me tais, considérez que je ne suis plus un chat, mais un poisson.
(школьная
Библиотека
- М.А. Булгаков
- МАСТЕР И
МАРГАРИТА – p 342)
- Королева…
ухо вспухнет…
Зачем же портитьбал
вспухшим
ухом?…
Я
говорил юридически…с
юридической
точки…
Молчу, молчу…Считайте, что я не
кот, а рыба,
только оставьте ухо.
552 - GOETHE, Faust, La
chambre de Gretchen
(Col. Bilingue,
Ed. Aubier Montaigne, Trad. Henri Lichtenberger,
p.113)
GRETCHEN (au
rouet, seule)
Sa Noble allure,
Sa fière stature ?
Le sourire de sa bouche,
L'éclat de ses yeux,
GRETCHEN (am Spinnrade, allein)
Sein hoher Gang,
Sein’edle Gestalt,Seines
Mundes Lächeln,
Seiner Augen Gewalt,
553
- BUTOR-POUSSEUR : Votre Faust, Deuxième Partie
(NRF, MCMLXII, p.88)
Arrive le fantôme de Maggy (robe verte, le visage recouvert d’un suaire blanc, démarche de
somnambule).
554- GOETHE, Faust I, Un cachot
(Col. Bilingue, Ed.
Aubier Montaigne, Trad. Henri Lichtenberger, p.150)
MARGUERITE (se
cachant sur son grabat)
Hélas ! hélas ! Ils viennent, Mort
amère !
MARGARETE (sich auf dem Lager verbergend)
Weh ! Weh ! Sie kommen. Bittrer Tod !
555 - GOETHE, Faust I, Un cachot
(Col. Bilingue, Ed. Aubier Montaigne, Trad. Henri
Lichtenberger, p.155)
MARGUERITE
Le jour ! oui, le jour vient ! mon dernier jour paraît !
Ce devait être mon jour de noce !
MARGARETE
Tag ! Ja, es wird
Tag ! der letzte Tag dringt herein!
Mein Hochzeittag sollt’es sein!
556 - GOETHE, Faust I, Un
cachot
(Col. Bilingue,
Ed. Aubier Montaigne, Trad. Henri Lichtenberger,
p.121)
GRETCHEN (place
des fleurs fraîches dans les vases)
/…/
Où que j'aille,
J'ai si mal, si mal, si mal,
Ici, au fond du sein !
A peine, hélas ! suis-je seule,
Que je pleure, pleure, pleure,
Mon cœur se brise en moi.
GRETCHEN (steckt frische Blumen in die Krüge)
/.../
Wohin ich
immer gehe,
Wie weh, wie
weh, wie vehe
Wird mir im
Busen hier!
Ich bin, ach!
Kaum alleine,
Ich wein’, ich
wein’, ich wein’,
Das Hertz zerbricht in mir.
557 - PESSOA, Faust,
Quatrième Acte, p.196
(Christian Bourgois
Editeurs, 1990, Trad. Pierre Léglise-Costa et André Velter, p.196)
Bon buveur, bois-moi bien,
Bois-moi bien, bon buveur ;
La vie ne recèle qu'un seul bien
Vois sa couleur, c'est le vin !
(chœur)
La vie est un seul jour et la nuit une horreur
Bois-moi, bois-moi bien, bon buveur.
(Fausto, Texto
estabelecido por Teresa Sobral Cunha, Editorial Presença, p.140)
Bom bebedor,
bebe-me bem
Bebe-me, bom
bebedor.
Só uma cousa
boa esta vida tem
E o vinho:
mira-lh’ a cor!
Coro
A vida é um
dia e a morte um horror
Bebe-me,
bebe-me, bom bebedor.
558 - PESSOA, Faust, Quatrième Acte, p.198
(Christian Bourgois Editeurs, 1990,
Trad. Pierre Léglise-Costa et André Velter, p.198)
Tous : Bravo ! Bravo !
Faust : Qui a écrit cette chanson ?
(Fausto, Texto estabelecido
por Teresa Sobral Cunha, Editorial Presença, p.141)
Todos : Bravo!
Bravo!
Faust : A quem escreveu essa canção?
559 - PESSOA, Faust, Quatrième Acte,
(Christian Bourgois Editeurs, 1990,
Trad. Pierre Léglise-Costa et André Velter, p.198)
Faust :C'est toi, camarade ?
(Fausto, Texto
estabelecido por Teresa Sobral Cunha, Editorial Presença, p.141)
Faust : Não foi o camarada?
560 - PESSOA, Faust, Quatrième Acte, p.198
(Christian Bourgois Editeurs, 1990,
Trad. Pierre Léglise-Costa et André Velter, p.198)
Fred
Ecrire des
vers, moi ?
Non. La chanson je l'ai apprise, il y a
bien longtemps.
C'est peu de chose, juste une
façon de crier.
(Fausto, Texto estabelecido
por Teresa Sobral Cunha, Editorial Presença, p.141)
Fred
Versos, eu?
Nada aprendi-a, e há o tempo. É pouca coisa,
Uma maneira qualquer de berrar.
561 - BOULGAKOV, Le Maître et Marguerite, PI, XVII
(Ed. Robert Laffont, 1968, Trad. C.Ligny, p.233)
Debout, tremblant, le comptable resta coi.
(школьная Библиотека
- М.А. Булгаков
- МАСТЕР И
МАРГАРИТА – p 255)
Подавившись рыданием,
она перевела
дух, но
понесла что-то
уж свсем
несообразное
:
562 - LENAU, Faust, Le visiteur
(Col. Bilingue, Ed
Aubier-Montaigne 1971, Trad. J-P Hammer, p.76/77)
WAGNER
Que
Dieu nous garde ! Quel était donc
cet étranger ?
WAGNER
Gott sei mit uns ! – wer war der
fremde Mann?
563 - BOULGAKOV, Le Maître et Marguerite, PII, IV
(Ed. Robert Laffont, 1968, Trad. C.Ligny, p.314)
-Absolument pas, Messire, se reprit Marguerite d'une
voix douce mais distincte.
(школьная Библиотека
- М.А. Булгаков
- МАСТЕР И
МАРГАРИТА – p 327)
Ни в каком
случае, мессир, -справившись
с собой, тихо, но
ясно ответила
Маргарита
и, улыбнувшись,
добавила
:
564 - LENAU, Faust, Goerg
(Col. Bilingue, Ed Aubier-Montaigne
1971, Trad. J-P Hammer, p.278/279)
LIESCHEN
(la plus
belle des filles d’adresse à Faust)
Vous êtes un homme magnifique, oh !
faites-moi
Danser la plus belle danse de ma vie !
LIESCHEN
Die schönste Dirne, zu Faust
Ihr seid ein
herrlicher Mann, o führt
Zum Tanz mich,
dem schönsten in meinem Leben!
565 - M.PETIT, Le Troisième Faust,
Acte III, p.84
En bref, un présomptueux, un fat, un chimérique, qui
ne songe qu'à lui tout en donnant des leçons de sagesse au monde entier ;
un sot, qui pense que l'esprit se fixe en formules ;
un imposteur, qui depuis plus de
soixante ans, nous mène en bateau, d'une
île à l'autre,
sous prétexte de nous faire découvrir des terres
inconnues qui n'existent pas ; un séducteur, un don Juan de village,
qui nous fait succomber
pour mieux nous reprocher , ensuite, le vieux Tartuffe, d'avoir pris pour
argent comptant ses beaux discours,
et pour des lanternes trois
ridicules vessies de porc gonflées de vent !
566 - LENAU, Faust, La forge
(Col. Bilingue, Ed Aubier-Montaigne 1971,
Trad. J-P Hammer, p.150/151)
Le chemin se déroule au milieu des
champs verts qui ondulent,
A travers les nobles chênaies de
l'Autriche.538
Es zeiht der
Weg durch grüne Wogenfelder,
Durch
Österreichs erhabne Eichenwälder.
567 - LENAU, Faust, Goerg
(Col. Bilingue, Ed
Aubier-Montaigne 1971, Trad. J-P Hammer, p.278/279)
LIESCHEN
Enlace-moi, toi le plus beau de tous,
dans cette ronde bienheureuse !
LIESCHEN
Umschlinge
mich, Schönster, zum seligen
Reigen !
568 - MARLOWE, Doctor Faustus, Acte IV, scène 3
(Col. Bilingue, Ed. Flammarion,1997, Trad. F. Laroque et J-P Villquin, p.195)
FAUST
Voyez, ces arbres bougent à mon commandement
Et forment un rempart entre vous et moi
Pour me protéger de votre odieux
guet-apens.
FAUSTUS
/../ For
lo, these trees remove at my command
And
stand as bulwrks’twixt yourselves and me
To
shield me from your hated treachery.
569 – ANONYME – Histoire du Docteur Johann Faust,
16
(Historia del Doctor Johann Fausto,
Anónimo del siglo XVI, Ed. Siruela, 2004, p.78)
Además, en cuanto se quedaba solo y quería
pensar en la palabra de Dios,
se le acercaba el Demonio en forma de una bella mujer y se
entregaba con él a toda suerte de desenfrenos,
por lo que pronto olvidó y despreció la
palabra divina, persistiendo en sus malos propósitos.
De plus, dès
que je restais seul, voulant penser à la parole de Dieu,
le Diable s’approchait de moi sous la forme
d’une belle femme et je m’adonnais avec lui à toutes sortes d’excès,
aussitôt oublieux de la parole divine,
570 - MARLOWE, Doctor Faustus, Acte III, scène 1
(Col. Bilingue, Ed. Flammarion,1997, Trad. F. Laroque et J-P Villquin, p.137)
MEPHISTOPHELES
Imagine ensuite ce qui te plaît le
mieux
De tous les tours de ton art pour
contrarier le Pape,
MEPHISTOPHELES
/…/ And then devise what best contents thy mind,
By cunning in thine art, to cross the pope,
571 - MARLOWE, Doctor Faustus, Acte IV, scène 1
(Col. Bilingue, Ed. Flammarion,1997, Trad. F. Laroque et J-P Villquin, p.183)
FAUST
Mon gracieux Seigneur, ce n'est pas tant
pour l'affront qu'il m'a fait,
que pour le plaisir de divertir Votre Majesté, que
Faust a justement puni cet insolent
chevalier.
FAUST
My
gracious lord, not so much for injury done to me as to delight your majesty
with some mirth hath Faustus justly requited this injurious kniht ;
572 - MARLOWE, Doctor Faustus, Acte IV, scène 6, p.227
(Col. Bilingue, Ed. Flammarion,1997, Trad. F. Laroque et J-P Villquin, p.227)
LE DUC
Mais nous aussi, madame. Il sera
récompensé
Par notre amour et par tous nos bienfaits.
Son art est un plaisir qui chasse les
idées noires.
DUKE
So are
we, madam, which we will recompense
With all
the love and kindness that we may.
His
artful sport drives all sad thoughts away.
573 - MARLOWE, Doctor Faustus, Acte IV, scène 6
(Col. Bilingue, Ed. Flammarion,1997, Trad. F. Laroque et J-P Villquin, p.225)
LA DUCHESSE
Monseigneur,
Nous sommes très redevables à cet homme
si savant.
DUCHESSE
My lord,
We are much
beholding to this learned man.
574 - MARLOWE, Doctor Faustus, Acte V, scène 2
(Col. Bilingue, Ed. Flammarion,1997, Trad. F. Laroque et J-P Villquin, p.247)
PREMIER CLERC [au troisième
clerc]
Ne tente pas Dieu, mon doux ami.
Passons plutôt dans la
salle à côté et là, prions pour lui.
FIRST SCHOLAR [to the Third Scholar]
Tempt not God, sweet
friend, but let us into the next room and pray for him.
575 - MARLOWE, Doctor Faustus, Acte IV, scène 1
(Col. Bilingue, Ed. Flammarion,1997, Trad. F. Laroque et J-P Villquin, p.181)
FAUST
Comment
ça monsieur ?
Je croyais que le docteur
n'avait ni talent
Ou faire apparaître devant ce royal Empereur,
Ni art, ni dons pour présenter à ces seigneurs
Le puissant monarque, le martial Alexandre !
FAUST
O, say not so, sir. The
doctor has no skill,
No art,
no cunning to present these lords
Or bring
before this royal emperor
The
mighty monarch, warlike Alexander.
576 - MARLOWE, Doctor Faustus, Acte IV, scène 6
(Col. Bilingue, Ed. Flammarion,1997, Trad. F. Laroque et J-P Villquin, p.213)
FAUST
Mais vous,
miss Maggie, peut-être ?
FAUST
But, gracious lady, it may be that
you have taken no pleasure in those sights.
577 - MARLOWE, Doctor Faustus, Acte IV, scène 5
(Col. Bilingue, Ed. Flammarion,1997, Trad. F. Laroque et J-P Villquin, p.207)
L’HÔTESSE
Mais qui est-ce qui reste là tout seul
dans son coin, sérieux comme un pape ?
Mais c'est mon vieux client
!
HOSTESS
Who’s this that
stands so slemnly by himself ? (To Robin)
What, my old guest?
578
- VALERY, Mon Faust, Acte II, Scène 1
(Col. Idées, Ed. Gallimard, 1946, p.54)
Faust :
Soyez le bienvenu, Monsieur. Ne soyez jamais ému devant un homme.
Le Disciple :
Vous n'êtes pas un homme, Maître…
579
- VALERY, Mon Faust, Acte II, Scène 1
(Col. Idées,
Ed. Gallimard, 1946, p.54)
Maître…
Mon Maître… (Révérence)
Est-il possible ! Je vous salue
respectueusement… Je m'excuse… Je suis si ému…
580
- T.MANN, Le Docteur Faustus, I
(Ed. Albin Michel,
1950, Trad. Louise Servicien, p.19)
Pourtant, on ne saurait le contester, nul n'a jamais
mis en doute que dans cette sphère
radieuse,
l'élément démoniaque et irrationnel a toujours tenu
un rôle inquiétant.
Entre elle
et le royaume inférieur, un lien existe, propre à susciter un léger effroi.
(Doktor Faustus, Fischer Taschenbuch Verlag, 1986, p.8)
Und doch ist
nicht zu leugnen und ist nie geleugnet worden, daß an dieser strahlenden Sphäre
das Dämonische
und Widervernünfitge einen beunruhigenden Anteil hat,
daß immer eine leises Grauen erweckende
Verbindung bestecht zwischen ihr und dem unteren
Reich,
581
- T.MANN, Le Docteur Faustus, XIII
(Ed. Albin Michel, 1950, Trad.
Louise Servicien, p.143)
En effet, grâce à sa dialectique, il haussait, si j'ose m'exprimer ainsi, le
scandale du péché jusqu'à la sphère divine, l'enfer jusqu'au plan de l'empyrée,
expliquait que le
maudit était en corrélation nécessaire et innée avec le sacré et
celui-ci une perpétuelle tentation satanique, une
invite presque irrésistible à la pollution.
(Doktor Faustus, Fischer Taschenbuch Verlag, 1986, p.101)
Denn er nahm,
wenn ich mich so ausdrücken darf, dialektisch den Lästerungsaffront in das Göttliche,
die Hölle ins Empyreum auf,
erklärte das Verruchte für ein notwendiges und mitgeborenes Korrelat des Heiligen und
dieses für
eine beständige satanische Versuchung, eine fast unwiderstehliche
Herausforderung zur Schändung.
582 - T.MANN, Le Docteur Faustus, V
(Ed. Albin Michel, 1950, Trad.
Louise Servicien, p.53)
Combien je m'épouvante de ce " d'une façon ou d'une autre ", devant
moi-même
et devant l'effroyable
situation que le destin impose à la sensibilité allemande !
(Doktor Faustus, Fischer Taschenbuch Verlag, 1986, p.33)
Und wie
entsetze ich mich bei diesem So oder so, vor mir selbst
und vor der schaurigen Zwangslage, in die das Schicksal
das deutsche Gemüt gedrängt!
583 - T.MANN, Le Docteur Faustus,
XIII
(Ed. Albin Michel, 1950, Trad.
Louise Servicien, p.147)
Naturellement, la relation dialectique
du mal avec le bien et le sacré
jouait un rôle important dans la théodicée, la
justification de Dieu devant l'existence du mal dans le monde.
(Doktor Faustus, Fischer Taschenbuch Verlag, 1986, p.104)
Natürlich spielte die dialektische
Verbundenheit des Bösen mit dem Heiligen und Guten
eine
bedeutende Rolle in der Theodizee, der Rechtfertigung
Gottes angesichts des Vorhandenseins des Bösen in der Welt,
die in
Schleppfußens Kolleg einen breiten Raum einnahm.
584 - T.MANN, Le Docteur Faustus,
XII
(Ed. Albin Michel,
1950, Trad. Louise Servicien, p.139)
Je ne peux ni ne veux l'approfondir, mais je me dis que partout où l'on
rencontre la théologie -et singulièrement lorsqu'elle s'allie à une nature
aussi riche de sève que l'était Ehrenfried Kumpf,-
le diable est inséparable du tableau et
affirme sa réalité, complémentaire de celle de Dieu.
(Doktor Faustus, Fischer Taschenbuch Verlag, 1986, p.98)
Ich kann und
will nicht untersuchen, wieweit er an die persönliche Existenz des Widersachers
glaubte, sage mir aber, daß, wo überhaupt Theologie
ist –und nun gar, wenn sie sich mit einer so saftigen Natur wie der Ehrenfried Kumpfs
verbindet-, auch der Teufel zum Bilde gehört
und seine komplementäre Realität zu derjenigen Gottes behauptet.
585 - T.MANN, Le Docteur Faustus, XXXVI
(Ed. Albin Michel, 1950, Trad.
Louise Servicien, p.510)
O Allemagne
! tu roules à l'abîme et je songe à
tes espoirs.
/…/
Il est vrai, le
désordre fantastique d'alors qui bafouait la terre entière et cherchait à
l'épouvanter,
contenait déjà en germe beaucoup de
l'invraisemblance monstrueuse de
l'excentricité, de tout cela qu'on n'eût jamais cru possible,
beaucoup du détestable sans-culottisme
de notre comportement depuis 1933 et surtout depuis 1939.
(Doktor Faustus, Fischer Taschenbuch Verlag, 1986, p.387)
O Deutschland, du gehst zugrunde, und ich
gedenke deiner Hoffnungen!
/.../
Es ist wahr, der phantastische, weltverhöhnende und als Weltschrecknis gemeinte Unfug von
damals hatte schon viel von der monströsen
Unglaubwürdigkeit,
der Exzentrizität, dem nie für möglich Gehaltenen, dem bösen Sansculottismus unserer
Aufführung
seit 1933 und gar seit 1939.
586 - T.MANN, Le Docteur Faustus,
I
(Ed. Albin Michel, 1950, Trad.
Louise Servicien, p.19)
… lorsqu'il s'agit d'un génie pur et authentique à la fois béni et infligé par
Dieu,
et non d'un génie
acquis et funeste, corruption coupable et morbide de dons naturels,
résultat d'un effroyable
pacte…
(Doktor Faustus, Fischer Taschenbuch Verlag, 1986, p.8)
/.../
wenn es sich um lauteres und genuines, von Gott geschenktes oder auch
verhängtes Genie handelt
und nicht um ein akquiriertes und
verderbliches, um den sünd- und krankhaften
Brand natürlicher Gaben, die Ausübung eines gräßlichen Kaufvertrages...
587 T.MANN, Le Docteur Faustus,
Epilogue
(Ed. Albin Michel, 1950, Trad.
Louise Servicien, p.659)
Aujourd'hui, l'Etat monstrueux qui serrait dans ses tentacules le continent, et
plus encore, a fini de célébrer ses orgies ;
(Doktor Faustus, Fischer Taschenbuch Verlag, 1986, Nachschrift p.8)
An diese wäre
jetzt, wo das Staatsungeheuer, das samals den Erdteil, und mehr als ihn, in seinen
Fangarmen hielt, seine Orgien ausgefeiert hat,
588 - T.MANN, Le Docteur Faustus,
Epilogue
(Ed. Albin Michel, 1950, Trad.
Louise Servicien, p.659)
A
cette époque, l'Allemagne, les joues brûlantes de fièvre, titubait, à l'apogée de
ses sauvages triomphes,
sur le
point de conquérir le monde grâce à un pacte qu'elle était résolue à observer
et qu'elle avait signé de son sang.
(Doktor Faustus, Fischer Taschenbuch Verlag, 1986, Nachschrift p.510)
Deutschland, die Wangen hektisch gerötet,
taumelte dazumal auf der Höhe wüster Triumphe, im Begriffe, die Welt zu
gewinnen kraft des einen Vertrages,
den es zu halten gesonnen war, und den es mit
seinem Blute gezeichnet hatte.
589 - T.MANN,
Le Docteur Faustus, Epilogue
(Ed. Albin Michel, 1950, Trad.
Louise Servicien, p.666)
Aujourd'hui, les démons l'étreignent, elle s'effondre, la main sur un œil, l'autre
fixé sur l'épouvantable,
et roule de désespoir en désespoir.
(Doktor Faustus, Fischer Taschenbuch Verlag, 1986, Nachschrift p.510)
Heute
stürzt es, von Dämonen umschlungen, über einem Auge die Hand und mit dem
andern ins Grauen starrend, hinab von Verzweiflung zu Verzweiflung.
590 - T.MANN, Le Docteur Faustus,
XIII
(Ed. Albin Michel, 1950, Trad.
Louise Servicien, p.149)
Car Dieu lui avait accordé sur l'œuvre de chair un
pouvoir magique plus grand que sur toute autre action humaine ;
non point seulement à cause de l'obscénité extérieure de cette pratique, mais surtout
parce que la perversité du premier père s'était transmise
au genre humain sous la forme de péché originel.
(Doktor Faustus, Fischer Taschenbuch Verlag, 1986, XIII, p.105)
Denn größere
Hexenmacht hatte ihm Gott zugestanden über den Beischlaf als sonst über jede
menschliche Handlung:
nicht nur wegen der äußeren Unflätigkeit
dieser Verübung, sondern vor allem, weil die Verderbtheit des ersten Vaters
als Erbsünde
dabei auf das ganze Menschengeschlecht übergegangen war.
591 - T.MANN, Le Docteur Faustus,
XIX
(Ed. Albin Michel, 1950, Trad.
Louise Servicien, p.215)
De la bouche du visiteur elle apprit aussi qu'il
avait entrepris ce voyage à cause d'elle, -et pour l'en remercier,
elle le mit
en garde contre son corps. Je le sus
par Adrian ; elle l'avertit.
(Doktor Faustus, Fischer Taschenbuch Verlag, 1986, XIX, p.154)
Sie erfuhr auch aus seinem Munde, daß er die Riese
hierher um ihretwillen zurückgelegt habe, -und sie dankte es ihm,
indem sie ihn vor ihrem Körper warnte. Ich weiß es
von Adrian: sie warnte ihn;
592 - BOULGAKOV, Le Maître et
Marguerite, PI, XVIII
(Ed. Robert Laffont, 1968, Trad. C.Ligny, p.255)
- Très mauvais
! déclara catégoriquement le maître de maison. Il y a, si vous le permettez,
quelque
chose de malsain chez un homme qui fuit le vin, le jeu, la compagnie des femmes
charmantes
et les conversations d'après-dîner. De tels gens, ou bien sont gravement
malades, ou bien haïssent en secret leur entourage.
Il est vrai que des exceptions sont possibles
(школьная Библиотека
- М.А. Булгаков
- МАСТЕР И
МАРГАРИТА – p 275)
Совсем худо,
-заключил
хозяин,- что-то,
воля ваша,
недоброе
таится в мужчинах, избегющих
вина, игр,
общества
прелестных
женщин, застольной
беседы.
Такие люди
или тяжко
больны, или втайне
ненавидят
окружающих.
Правда, возможны
исключения.
593 - T.MANN, Le Docteur Faustus,
XVII, p.203
(Ed. Albin Michel, 1950, Trad.
Louise Servicien, p.203)
Prude, je ne l'ai jamais été et si je m'étais trouvé dans
le cas d'être ainsi mené par le nez,
à Leipzig, j'aurai su, moi, faire bon visage.
(Doktor Faustus, Fischer Taschenbuch Verlag, 1986, XVII, p.146)
-ich war
niemals prüde und hätte, wäre mir
jene Leipziger Nasführung zugestoßen, schon gute Miene dazu zu machen gewußt-,
594 - T.MANN, Le Docteur Faustus,
XVII
(Ed. Albin Michel, 1950, Trad.
Louise Servicien, p.203)
Le domaine
de l'amour, du sexe, de la chair, n'était jamais abordé
dans nos entretiens d'une façon intime.
(Doktor Faustus, Fischer Taschenbuch Verlag, 1986, XVII, p.146)
So sonderbar
es in Ansehung unserer alten Kameradschaft klingen mag,
-
das Gebiet der
Liebe, des Geschlechtes, des Fleisches war niemals in unseren Gesprächen
-
auf eine irgend persönliche und intime Weise
berührt worden;
p.204
De femmes,
d'épouses, de filles, d'amourettes, il n'était pas question
parmi les membres de la confrérie.
(Doktor Faustus, Fischer Taschenbuch Verlag, 1986, XVII, p.147)
Von Frauen, Weibern, Mädchen,
Liebesverhältnissen war zwischen den Kommilitonen nicht die Rede.
595 - MARLOWE, Doctor
Faustus, Acte IV, scène 6, p.215
(Col. Bilingue, Ed. Flammarion,1997, Trad. F. Laroque et J-P Villquin, p.215)
LE DUC
Qui
sont ces grossiers trouble-fête à notre porte ?
Allez, qu'on calme leur tapage ! Qu'on leur ouvre
Et puis qu'on leur demande ce qu'ils viennent faire ici.
DUKE
What rude disturbers have we at the
gate ?
Go pacify their fury. Set it ope,
And them demand of them what they would
have.
596 - VALERY, Mon Faust, Acte II, Scène 4
(Col. Idées,
Ed. Gallimard, 1946, p.82)
" Que, baisant à pleine bouche
la personne que j'ai dite,
je dus prendre avant toute chose, et sans autres
formes ni paroles,
je ne sais quelle revanche furieuse dans l'amour,
contre tant de bonheur spirituel brusquement accordé,
après tant de… "
597
- BOULGAKOV, Le Maître et Marguerite, PII, VI
(Ed. Robert Laffont, 1968, Trad. C.Ligny, p.352)
Dans son trouble, elle n'avait pas remarqué qu'elle
avait cessé, tout à coup,
d'être nue, et qu'elle portait maintenant un
manteau de soie noire.
(школьная Библиотека
- М.А. Булгаков
- МАСТЕР И
МАРГАРИТА – p 362)
а Маргарита
бросиласьна
колени, прижалась
к боку больного
и так затихла.
В своем
волнении
она не
заметила,
что нагота
ее както
внезапно
кончилась,
на ней
теперь был шелковый
черный плащ.