Notice: Trying to access array offset on value of type int in /var/www/html/templates/yoo_avion/warp/src/Warp/Config/Repository.php on line 243 Cycle théorique

 "Je crois, sans le moindre doute, qu'aucune œuvre n'est "personnelle". Elle l'est, bien sûr, dans le sens de sa forme ou de son caractère, mais non dans le sens de "propriété".     JEAN  EMAR  

 

 

CYCLE THÉORIQUE

 

   Un troisième (et dernier) cycle, essentiellement théorique et centré sur les aspects formels impliqués par l'Intertexte en tant que modalité narrative post-romanesque, a commencé à se structurer en 2003-2004.  Jusqu'alors, seules les questions formulées par les écrivains de la Nouvelle Fiction Française à propos de l'Intertexte, m'avaient fait sentir la nécessité d'y répondre par des concepts esthétiques. Je  croyais, un peu naïvement, que mes textes de fiction littéraire étaient suffisants. Ainsi, suite à un colloque international que j'avais organisé à Calaceite (Teruel, Espagne, 1998) pour les écrivains du groupe présidé par Frédérick Tristan, j'écrivis En marge d'André Pieyre de Mandiargues (Songe intertextuel autour de la Nouvelle Fiction) dans le but d'éclaircir le problème. Mais ce ne fut pas le cas. Même la publication à Paris du Portrait d'un Psychiatre Incinéré (Éditions de La Différence, 1999) et de La Guérison (id., 2000), textes repérés et commentés, assez élogieusement, par la critique parisienne, ne suffirent pas à lever les ambiguïtés à propos de l'Intertexte, d'autant plus que Joaquim Vital, le directeur de La Différence, me demanda de publier ces deux livres sous la rubrique "roman" et cela pour des raisons strictement commerciales. ("Si je publie tes livres sous la rubrique "intertexte", tu risques une mésaventure pareille à celle encourue par Breton à New York avec Les Champs Magnétiques, placé par les libraires dans la section "électricité". Tu pourrais trouver La Guérison dans le rayon "informatique", me dit-il.) Bien entendu, les critiques parisiens ont estimé que mes livres étaient des romans drolatiquement étranges mais, de toutes façons, des romans quand même.

 

   En 2004, invité à participer à la rencontre annuelle des Belles Latinas à Lyon, je programmai un "intertexte collectif" autour de la légende de Faust avec les élèves du prestigieux lycée Édouard Herriot. Gérard Wormser, docteur en philosophie et professeur à l'École Normale Supérieure de Lyon, fondateur de l'association Sens Public (revue électronique plurilingue et maison d'édition créées à Lyon en 2003), m'aida à guider les élèves dans l'écriture électronique de cet Intertexte collectif expérimental. Toutefois, ce ne fut que l'année suivante, dans le Manifeste pour une nouvelle littérature? présenté dans le stand de Sens Public au Salon du Livre (Paris 2005), parallèlement à l’édition SP de La Société des Hommes Célestes, qu'il a été question d'une formalisation conceptuelle de l'Intertexte en tant que genre post-romanesque.
 

  La Société des Hommes Célestes (Un Faust latino-américain) est un ouvrage tissé avec des centaines de citations de Faust classiques, publié sous la rubrique "Intertexte". La langue de base est le français, mais par le biais des citations des textes faustiens originaux, le texte s'ouvre constamment au plurilinguisme. Le livre fut édité sur papier et imprimé en Espagne sous la supervision de Chantal Waszilewska et d’Émilie Tardivel, alors secrétaire de Sens Public. La beauté de la couverture et la configuration du livre, conçues par le peintre péruvien Herman Braun-Vega, retinrent l’attention du Salon du Livre et il fut placé dans la salle réservée aux plus beaux ouvrages. Simultanément, grâce aux nouvelles technologies, le texte commença à émerger dans une "version électronique" où les citations devinrent "actives". Le lecteur n'est plus obligé d’aller les chercher en bas de page ou à la fin du livre, mais il peut accéder immédiatement, pendant sa lecture sur support numérique, aussi bien au texte original de la citation qu'à son hypertexte (ouvrage, langue et édition d'origine). La version électronique, à la charge de Chantal Waszilewska, n'a été complètement achevée que pour Le Château de Méphistophélès ou L'Examen de Faustologie, farce qui clôt l'œuvre. "Clore" n'est pas le verbe à utiliser dans le cas de La Société des Hommes Célestes car, en tant qu'Intertexte, le livre a pour vocation d'être toujours ouvert au lecteur-écrivain. Celui-ci peut, en s'appuyant sur les facilités offertes par le support numérique et par l'ajout de nouvelles citations faustiennes, participer à l’évolution d'une œuvre qui s'inscrit dans la longue tradition faustienne, initiée en 1583 par le Volksbuch von Doktor Johannes Faustus, première transcription littéraire de la légende du Docteur Faust, légende à la fois périodiquement enrichie et perpétuellement inachevée. La version en espagnol du livre -La Sociedad de los Hombres Celestes (Un Fausto Latinoamericano)- n’existe pour le moment que sur papier. Il ne s’agit pas d’une simple traduction du texte français, mais d'une "traduction intertextuelle", laquelle implique des modifications parfois très significatives du texte original. Toutefois, l’axe du livre, dans ses deux versions, est le même : une fresque de l’éducation occidentale au XXe siècle, depuis le kindergarten jusqu’au doctorat… en faustologie, bien sûr.

    En mars 2006, la présentation de La Société des Hommes Célestes eut lieu à la Maison de l'Amérique Latine à Paris, puis dans les salons de l'ambassade du Chili en France (mai 2006, Hernán Sandoval, ambassadeur; Raúl Fernández, responsable culturel), avec la participation de Hermán Braun-Vega, du journaliste de Radio France Internationale, Fernando Carvallo, de Gérard Wormser et de Sophie Rabau, professeure de littérature comparée qui m'avait préalablement invité à donner une conférence à la Sorbonne Nouvelle sur La Guérison et écrit un article sur le sujet, publié par l'Université Stendhal de Grenoble. Dans le public invité à l'ambassade se trouvaient aussi Julia Peslier, docteure en littérature, spécialiste de faustologie (Université Paris VIII, Vincennes Saint-Denis), et Alejandro Canseco-Jerez, professeur de littérature latino-américaine à l'université Paul Verlaine de Metz et à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales de Paris. Deux mois plus tard le livre fut présenté en Espagne (château de Valderrobres,  Aragón, juillet 2006), conjointement à la rétrospective de Herman Braun-Vega, que je définis dans l'un de mes essais comme "maître de l’interpicturalité", terme -l'interpicturalité- dérivé de celui de l'intertextualité littéraire. En effet, ce que je tentais au niveau de la littérature, d'autres artistes le tentaient aussi dans leurs propres disciplines. Ainsi, Braun-Vega "cite" souvent dans ses tableaux les grands classiques de la peinture : Velázquez, Rembrandt, Rubens, Ingres, Goya, Gauguin, Cézanne, Picasso, etc. Des œuvres comme Double éclairage sur Occident avec des emprunts à Velázquez et à Picasso, La leçon à la campagne où Rembrandt est cité, ou bien le triptyque ¿La realidad es así?, conçu autour de Goya et Picasso, montrent que d'autres artistes d'avant-garde cherchent à renouer avec le courant central du classicisme et à sortir des formes stéréotypées et dévitalisées de l'art et de la littérature de notre époque.

 

 

 

 

 La melancolia de Don Pablo (Velázquez, Rembrandt, Ingres, Duncan) 2006, acrylique sur toile, 200 x200cm. Au fond, le château de Valderrobres, lieu de la rencontre avec Sens Public.

 

   Plusieurs membres de Sens Public et des spécialistes présents au château de Valderrobres donnèrent des conférences sur la signification de l'intertextualité (Ingeburg Lachaussée, germaniste, professeur en classes préparatoires, maître de conférences de philosophie politique à Sciences Po), de l'interpicturalité (Madeleine Vallette-Fondo, Maître de conférences à l'Université de Paris-Est, Marne-la-Vallée), et de l'intermusicalité (Margarita Celma, musicologue, Directora de la Coral Matarranya), De son côté, le cinéaste Yann Kilborne (maître de conférences à l’Université Bordeaux-Montaigne) prolongea ces réflexions vers le cinéma. De toute évidence, l'apparition de l'Intertexte comme nouvelle forme narrative post-romanesque n'est donc pas un phénomène isolé des autres pratiques artistiques mais, bien au contraire, elle fait partie d'un mouvement de renouveau de la culture contemporaine au sein duquel le multiculturalisme, le plurilinguisme et l’échange de principes esthétiques et de techniques est déterminant.

   Or, malgré toutes ces conférences et ces débats, je rencontrais toujours maintes difficultés pour résumer et expliquer conceptuellement ma démarche, surtout face aux éditeurs qui hésitaient à publier des textes non seulement dits "d'avant-garde", destinés en principe à un public restreint, mais qui posaient aussi de complexes et très coûteuses exigences techniques, pratiquement insurmontables pour l'édition conventionnelle. Dans le Manifeste j'avais attiré l'attention sur un fait décisif : "pas de nouvelle littérature, sans nouvelle édition". Le refus par les éditeurs conventionnels (y compris par Sens Public, encore à ses débuts comme maison d'édition) de publier Madre / Montaña / Jazmín à cause de ses dessins et de ses couleurs, venait confirmer cette situation. L'Intertexte semblait destiné à se perdre ou à rester comme une simple curiosité dans l'histoire de la littérature.

   Ce fut alors que je découvris Create Space, la structure de "self-edition" montée par Amazon aux États-Unis. Comme je le raconte dans mon article Révolution dans l'édition littéraire (Mediapart, septembre 2021), tout ce que j'avais imaginé à propos de l’évolution indispensable de l'édition traditionnelle pour aboutir à l'épanouissement d'une nouvelle littérature, avait déjà été mis en place par un groupe d'écrivains américains, dont les dénonciations concernant la pusillanimité et l'affairisme des éditeurs avaient été entendues par Amazon. J'éditai donc Madre/Montaña/Jazmín d'après mes propres exigences, décidant personnellement de chaque aspect formel de l'édition, poursuivant de la sorte le processus créatif de l’écriture. Puis, suivant le même procédé, je publiai, à partir de 2010, la totalité de mes manuscrits inédits, parmi lesquels L'Enlèvement de Sabine, ouvrage à la fois intertextuel et interpictural qui contient des reproductions "full color" des Annonciations de la ville de Florence, ouvrage refusé par les éditeurs sous le prétexte du coût très élevé de l'impression, coût en revanche parfaitement raisonnable à l'intérieur des paramètres de la "new fashion edition". Et je pus, enfin, développer, compléter et publier mes textes théoriques sur l'Intertexte (Bakhtine, le roman et l'intertexte, Dialogue Intertextuel avec Bakhtine, etc.), groupés dans le Manifeste pour une Nouvelle Littérature, dépourvu désormais du signe interrogatif qui avait caractérisé sa première mouture en 2005.

    Après la rencontre au château de Valderrobres, je poursuivis à Paris le processus de théorisation de l’intertexte. Encore une fois, alors que je croyais avoir atteint une clarté suffisante dans ma démarche, je me heurtai à une pénible réalité : le marché littéraire, solidement protégé contre toute tentative pour aller au-delà du roman, poutre maîtresse de l’industrie littéraire. Dans le monde de la littérature actuelle, éminemment romanesque, l’Intertexte comme nouvelle modalité narrative, impliquant de surcroît un changement du mécanisme d’édition, ne pouvait intéresser que les chercheurs en linguistique...et encore !

      J’avais déjà tenté de m’approcher des écrivains de l’avant-garde française « officielle » (Correspondance Unilatérale avec Sollers) pour partager mes réflexions, sans aucun succès. Certes, la critique du roman comme genre narratif était archivée depuis un moment et convenablement oubliée dans l’intérêt du négoce éditorial. Or, cela ne m’empêcha pas de récupérer l’opinion de Roland Barthes sur les avant-gardes en général, y compris le groupe Tel Quel, dont il faisait partie :

« Il y a sans doute des révoltes contre l’idéologie bourgeoise. C’est ce qu’on appelle en général l’avant-garde. Mais ces révoltes sont socialement limitées, elles restent récupérables. D’abord parce qu’elles proviennent d’un fragment même de la bourgeoisie, d’un groupe minoritaire d’artistes, d’intellectuels, sans autre public que la classe même qu’ils contestent, et qui restent tributaires de son argent pour s’exprimer. Et puis, ces révoltes s’inspirent toujours d’une distinction très forte entre le bourgeois éthique et le bourgeois politique : ce que l’avant-garde conteste, c’est le bourgeois en art, en morale, c’est, comme au plus beau temps du romantisme, l’épicier, le philistin ; mais de contestation politique, aucune. Ce que l’avant-garde ne tolère pas dans la bourgeoisie, c’est son langage, non son statut. Ce statut, ce n’est pas forcément qu’elle l’approuve ; mais elle le met entre parenthèses : quelle que soit la violence de la provocation, ce qu’elle assume finalement, c’est l’homme délaissé, ce n’est pas l’homme aliéné (...)»

   affirme-t-il, mettant en garde ses lecteurs dans Mythologies, conscient des limites de son activité avant-gardiste. Quelques années plus tard, il va nuancer sa position :

« C’est pourquoi je pourrais dire que ma propre position historique est d’être à l’arrière-garde de l’avant-garde : être d’avant-garde, c’est savoir ce qui est mort ; être d’arrière-garde, c’est l’aimer encore. J’aime le romanesque, mais je sais que le roman est mort. »

    La lucidité de Barthes me laissa stupéfait. Le plus grand théoricien contemporain de la littérature française, dont la lumière (parfois « oscillante ») éclairait la démarche sinueuse et souvent confuse de Tel Quel, signalait l’existence d’un mur pratiquement infranchissable pour tout écrivain d’avant-garde : les intérêts et les valeurs statutaires de la bourgeoisie, autrement dit, de la société capitaliste. Le roman, d’avant-garde ou pas, devait satisfaire ces intérêts pour continuer à exister. Et l’écrivain, s’il voulait être publié et gagner de l’argent, devait se proclamer « romancier » et faire l’éloge du roman.

      Dans un contexte pareil, quelles étaient les possibilités de survie ou de simple manifestation d’un nouveau genre narratif comme l’Intertexte, qui cherche à dépasser le roman ? À la rigueur, on peut élaborer les objets littéraires les plus sophistiqués dans l’intimité des laboratoires de linguistique, mais à condition de ne pas franchir les frontières fixées par la bourgeoisie. Sinon, la tentative avant-gardiste sera étouffée. C’est, d’ailleurs, ce qui advint au groupe Tel Quel après la mort de Roland Barthes, comme je le raconte dans « L’Énigme romanesque de Roland Barthes ». Par conséquent, toute velléité de voir l’Intertexte reconnu, accepté et promu dans le monde des lettres conventionnel, tributaire de l’imprimerie et du support papier, était à exclure. Cela ne servait à rien de me rappeler les exemples classiques de Schopenhauer, Cézanne, Pessoa, Kafka et encore d’autres créateurs et innovateurs, grands ou petits, qui sont morts inconnus ou méconnus. Pourtant, au moins d’un point de vue théorique, il y avait encore quelque chose à développer sans faire de concessions à l’establishment édito-littéraire : la réflexion sur la liberté de création, toujours prônée, mais rarement respectée dans l’univers romanesque, et sur la liberté d’édition, toutes deux essentielles pour l’Intertexte. Sur ce point, l’aide apportée par Marcello Vitali-Rosati, professeur de littérature et des recherches numériques à l’université de Montréal, dont Sens Public était devenu un partenaire grâce à sa revue électronique, fut pour moi fondamentale.

     J’avais choisi en 2004 de suivre la démarche de Gérard Wormser parce qu’elle s’écartait radicalement de la voie suivie par les médias ordinaires. Wormser avait saisi, depuis le début d’Internet, l’immense portée de la révolution cybernétique à une époque où d’éminents sorbonnards croyaient toujours qu’Internet et les ordinateurs ne seraient qu’une mode de plus, vouée à une disparition rapide pour le plus grand soulagement d’une génération de professeurs plutôt âgés, incapables d’apprendre le maniement des appareils électroniques. Ses efforts s’appuyaient sur cette nouvelle réalité technologique, plateforme bienvenue et indispensable pour l’Intertexte qui allait trouver dans l’éditorialisation, telle qu’elle est définie par Wormser et par Vitali-Rosati, le moyen pour dépasser le barrage opposé par la bourgeoisie (Barthes dixit) à la liberté de création et à la liberté d’édition :

     Qu’est-ce que l’éditorialisation ? me demandais-je dans un court essai Editorialisation et Littérature, publié en mars 2016. Deux réponses apparaissent, rappelant analogiquement Einstein et sa théorie de la relativité : celle, restreinte, de Marcello Vitali-Rosati, qui ne concerne principalement que le monde de l’édition ; l’autre, plus générale, de Gérard Wormser, qui englobe un ensemble beaucoup plus vaste de manifestations de l’univers du numérique. Commençons par cette dernière : « Nous nommons "éditorialisation" le processus d’explicitation dialogique qui permet aux groupes de structurer leurs échanges pour devenir acteurs des réseaux de connaissance », note Wormser dans son invitation au colloque Mondialisation et Éditorialisation (Salon Dionys’Hum, 2015). Allons maintenant vers la définition la plus restreinte, celle qui se limite au monde de l’édition : « On peut définir l’éditorialisation comme un ensemble d’appareils techniques (le réseau, les serveurs, les plateformes, les CMS, les algorithmes des moteurs de recherche), de structures (l’hypertexte, le multimédia, les métadonnées), de pratiques (l’annotation, les commentaires, les recommandations via les réseaux sociaux) qui permet de produire et d’organiser un contenu sur le web », propose Vitali-Rosati.

   Revenant sur le problème spécifique de l’édition « papier », il précise :

  « L’ouverture de l’éditorialisation par rapport à l’édition papier implique une certaine perte de contrôle de l’éditeur sur les contenus. On pourrait dire que l’éditeur ne représente plus qu’une partie de l’instance éditoriale qui est devenue beaucoup plus large. Cette ouverture est ce qui relie l’éditorialisation à une forme particulière de circulation du savoir et des contenus en général : une forme en réseau, disséminée et fragmentaire. L’éditorialisation produit une sorte d’intelligence en réseau – ou un réseau d’intelligences. Le concept d’éditorialisation renvoie donc à une dimension collective du savoir. »

          Et à une dimension collective de la littérature, pourrait-on ajouter.

       Éditorialisation et Littérature résume, à peu près, ma tentative avant-gardiste la plus osée dans la mesure où je mets en question non seulement le roman, mais tout l’appareil commercial monté par les éditeurs d’aujourd’hui, y compris les plus prestigieux. Les effleurer était déjà risqué, mais les dénoncer en tant que responsables de la décadence de la littérature contemporaine, transformée par leur truchement dans une sorte de divertissement banal, était vraiment téméraire. Beaucoup d’écrivains qui ont voulu s’affranchir des règles, pour ne pas dire des « interdictions », explicites ou tacites, imposées par les éditeurs, ont payé très cher cette insolence. D’abord, en se voyant freinés ou exclus des maisons où ils étaient publiés, puis trouvant portes fermées chez n’importe quel autre éditeur. Ils étaient « blacklistés », c’est à-dire, répertoriés comme infréquentables et dangereux pour il negozio littéraire, négoce dans lequel ce n’est pas l’écrivain qui décide, mais l’éditeur, acteur principal et souvent unique d’un processus qui n’a rien de « collectif » en dépit de ses apparences. Lecteurs de manuscrits, agents littéraires, comités de lecture, imprimeurs, publicistes, critiques, journalistes, attachés de presse, présentateurs-Tv, speakers-radios, libraires, etc., conglomérat impressionnant de professionnels du monde des lettres, ne font que masquer le centre de gravité d’un système centré non sur l’écrivain, mais sur l’éditeur, « individu » qui engage son argent en lançant sur le marché un produit souvent façonné selon ses paramètres esthétiques personnels ou, plutôt, selon ses désirs et ses caprices. Je décris cette situation dans Révolution dans l’édition littéraire, empli d’anecdotes tantôt drôles, tantôt tragiques sur cette mainmise des éditeurs sur les écrivains.Mais cette révolution dans l’édition littéraire ne concerne que la publication sur papier, toujours essentiellement tributaire de l’imprimerie et laisse en marge le processus de création lui-même, aujourd’hui tributaire du numérique.

 

         L’éditorialisation met fin à tout ça. À condition qu’elle soit mise en pratique, bien entendu. Ce qui n’est pas du tout évident. En effet, l’écrivain d’aujourd’hui, surtout le romancier, même le plus malmené et méprisé par l’establishment littéraire ou, au contraire, le plus glorifié et enrichi par les éditeurs, a une attitude essentiellement passive face à tous ces phénomènes. Au fond, il veut un éditeur qui s’occupe efficacement (« paternellement », pourrait-on dire) de son œuvre. Pour lui, l’œuvre est finie au moment de rendre son manuscrit. Sa publication ne le concerne pas et il est très soulagé que cela soit ainsi. Cette pusillanimité, sciemment entretenue par l’éditeur, est le hiatus dont il profite pour faire ce qu’il veut avec l’œuvre en question. Par contre, dans l’éditorialisation (comme c’est la cas pour l’auto-édition en papier), l’écrevain doit avoir une attitude résolument active. C’est lui, avec son effort créateur qui décide de tout ce qui concerne son travail d’écriture, dans la mesure où il ouvre celui-ci à un « réseau d’intelligences » fondé sur la solidarité et l’honnêteté intellectuelles, réseau appelé à participer collectivement à la création de l’œuvre.

        En 2012 j’avais déjà abordé le problème du lecteur passif /lecteur actif (le lecteur passif étant, principalement, le lecteur de romans) dans un essai, Bakhtine, le roman et l’Intertexte, où j’explorais la richissime pensée du savant russe sur le roman. Ébloui par son érudition et par le style de son écriture, qui me rappelait Hegel et sa Phénoménologie, je pris très au sérieux tout le bien qu’il disait sur le roman proclamé « forme suprême et définitive de la littérature ». Démonter ses arguments n’était pas chose facile. Et pourtant il fallait le faire. La faille essentielle, le proton pseudos de sa théorie du roman, nettement décelable au début de sa logique, nonobstant très rigoureuse, est l’amalgame qu’il fait entre le roman et la littérature narrative, amalgame réfutable dans la mesure où le roman n’est qu’un genre littéraire séculaire et la littérature narrative une pratique millénaire. Et sa faiblesse principale, est celle de ne pas analyser sémiologiquement le rapport entre la lecture et l’écriture, entre le lecteur et l’écrivain, analyse qui ne serait entreprise que des années plus tard en France par Roland Barthes. Pour Bakhtine, entre le romancier et le lecteur il ne peut y avoir d’autre relation que celle de la lecture. Le roman est une structure fermée, à laquelle le lecteur n’a d’accès qu’en le lisant. Dans l’Intertexte, la relation écrivain-actif / lecteur-passif, se trouve donc profondément modifiée et permet l’apparition du lecteur-écrivain. L’Intertexte se développe alors comme un jeu de systèmes de références textuelles très mobiles, d’où le lecteur n’est pas exclu. Bien au contraire, le lecteur cesse d'être réduit à la catégorie de consommateur passif d’un texte et il est appelé à entrer dans celui-ci pour y participer. L’invention de l’écriture électronique rend possible cette éventualité, à l'apparence utopique, et les nouvelles technologies vont, de toute évidence, faciliter un phénomène qui deviendra de plus en plus courant.

       L’analyse de la pensée de Bakhtine, que j’ai sciemment pris à rebours dans mon Dialogue intertextuel avec Bakhtine, me permit de résoudre maints doutes à propos de l’Intertexte et surtout, de confirmer sa nécessité pour aller au-delà du roman. Le concept « lecteur-écrivain », où la passivité du lecteur imposée par la forme romanesque est dépassée, concept étayé par le « réseau d’intelligences » dont parlent Wormser et Vitali-Rosati, change radicalement le centre de gravité de la création littéraire.

Je reviens sur la définition de l'éditorialisation selon Marcello  Vitali-Rosati : 
       

  « On peut définir l’éditorialisation comme un ensemble d’appareils techniques (le réseau, les serveurs, les plateformes, les CMS, les algorithmes des moteurs de recherche), de structures (l’hypertexte, le multimédia, les métadonnées), de pratiques (l’annotation, les commentaires, les recommandations via les réseaux sociaux) qui permet de produire et d’organiser un contenu sur le web. »

   Ce contenu, s’agissant de littérature, c’est précisément l’Intertexte, qui trouve dans l’univers numérique, spécifiquement dans le web, le milieu idéal pour son épanouissement. Les éditeurs conventionnels peuvent utiliser aussi les outils cybernétiques, lesquels facilitent maintes tâches de l‘édition « papier » (y compris l’impression des livres par commande), mais cela ne modifie pas le fait essentiel : c’est l’éditeur et non pas l’écrivain le centre de gravité de la littérature, déséquilibre consolidé par le mécanisme de diffusion, solidement maîtrisé par les éditeurs. Dans un autre de mes essais Mme Filipetti, Ministre de la Culture et Romancière, je m’étonnais de cette conception tordue de la littérature en tant que produit -en premier chef- de l’éditeur, l’écrivain n’étant que l’ouvrier qui apporte la marchandise à exploiter. Sans éditeur, pas de littérature ! disait en substance la Ministre de la Culture et Romancière, ignorant le Roland Barthes de Mythologies, où le sémiologue dénonçait la déviation mercantile de la littérature.

        Dans sa Théorie du texte Roland Barthes affirme que le vrai lecteur est celui qui veut écrire :

  « Sans doute, il y a des lectures qui ne sont que des simples consommations : celles précisément tout au long desquelles la signifiance est censurée ; la pleine lecture, au contraire, est celle où le lecteur n'est rien de moins que celui qui veut écrire (...) » 

     C’est le cas de Marcel Proust. Le jeune Proust rêvait d’écrire et il désespérait de ne pas être capable de le faire, croyant qu’il manquait de talent. Mais son désir d’écrire était si intense, qu’il appelait cela « sa vocation », sans laquelle sa vie n’avait pas de sens. Ses lectures de jeunesse, surtout la lecture de l’œuvre d’Anatole France, dont la prose élégante et transparente l’avait subjugué, mais aussi les articles de Sainte-Beuve, le critique littéraire le plus important de son époque, cristallisèrent chez lui « le lecteur-écrivain ». Or, lisant la théorie du roman de Bakhtine, je m’étonnais du fait qu’il ne prenne compte ni de Proust ni de son œuvre maîtresse, À la Recherche du temps perdu, œuvre fondamentale pour comprendre l’évolution de la littérature narrative. Même escamotage en ce qui concerne Ulysses et Finnegans Wake, de James Joyce. Cependant, il connaissait les deux auteurs, célèbres depuis les années 20 (Bakhtine est décédé en 1975). C’était assez incompréhensible de la part d’un érudit comme lui. Le « rideau de fer » culturel entre l’Union Soviétique et le reste de l’Europe ne suffisait pas à expliquer cette négligence, comme je le signale dans mon premier essai sur le savant russe. Je ne résolus le mystère qu’en écrivant un nouvel essai - Bakhtine, Proust et la polyphonie romanesque chez Dostoievski-, texte que je présentai personnellement à l’Institut Gorki de Moscou, où je me suis rendu pour participer à une rencontre littéraire organisée par Tatiana Victoroff et Luc Fraisse, professeur de littérature à l’Université de Strasbourg. Le colloque intitulé « Proust / Bakhtine, regards croisés » se prêtait particulièrement bien pour éclairer le problème. Comment concilier la pensée du savant russe et la création de l’écrivain français ? Et comment comprendre la position de Proust face au roman, genre qui échappait à son désir d’écriture absolue ?                      

 


"L'Oeuvre de F.Rabelais et la culture populaire au Moyen-Âge et sous la Renaissance"
M. Bakhtine, 1940


 
                      

Par l’analyse des romans polyphoniques de Dostoïevski, Bakhtine ouvre une piste pour expliquer son indifférence face à la Recherche. Pour lui, non seulement le roman est la forme suprême de la littérature, mais le roman polyphonique correspond à l’accomplissement capital du romancier russe, valable pour toute la littérature à venir. Vu sous cet angle, la Recherche n’est qu’un roman monophonique de plus. La relecture de 4000 pages de la Recherche pour préparer mon intervention à l’Institut Gorki de Moscou me permit de constater que la théorie du roman de Bakhtine ne peut effectivement pas s’appliquer à la Recherche... simplement parce que À la recherche du temps perdu n’est pas un roman ! Proust lui-même, au début de l’écriture de son œuvre, lorsque de lecteur passif il devint écrivain actif, ne savait pas s’il était en train d’écrire un roman...ou « autre chose » Cette « autre chose » est une « autofiction », genre intermédiaire (pour suivre ici la terminologie bakhtinienne) entre le roman et l’Intertexte, genre qui, d’ailleurs, ne peut être assimilé dans aucun cas à ce qu’on appelle « l’antiroman ».

       En 2017, je m’étais rendu à Santiago pour répondre à une invitation de David Wallace, professeur de littérature à l’Université du Chili, où j’eus l’occasion d’examiner avec ses étudiants les données de la naissance de l’Intertexte. Pendant les « Conversaciones sobre la (anti) novela » (titre de la rencontre universitaire), je pus une fois de plus constater les malentendus, aussi inévitables que nombreux, qui entourent l’Intertexte. Mes deux premiers livres, El Bautismo et El Sueño, publiés en Espagne par Montesinos Editor (Barcelona, 1983-1985) sous le pseudonyme de Juan Almendro ne sont pas, à proprement parler, des romans, mais des antiromans. Je suivais un peu la mode anti-romanesque dont Rayuela, ouvrage de l’écrivain argentin, Julio Cortázar, et les antiromans de l’écrivain chilien, Juan-Agustín Palazuelos, étaient pour moi des indices prémonitoires de la fin de l’époque romanesque. Je fus surpris de découvrir que ces antiromans, en particulier El Bautismo, étaient suivis à l’Université du Chili depuis trente ans… sans que je le sache. En effet, exilé d’abord aux États-Unis, puis en Europe et empêché de rentrer au Chili à cause du pinochétisme, j’avais coupé pratiquement tous mes liens avec mon pays. Mais David Wallace avait lu El Bautismo et il l’avait incorporé aux lectures proposées à ses étudiants. Seulement, mon travail y était étudié sous l’angle de l’antiroman. L’Intertexte n’existait pas pour les étudiants et, pendant nos échanges, ils firent le rapprochement plutôt entre l’Intertexte et le plagiat. Je raconte ces vicissitudes dans Entretien avec David Wallace, entretien réalisé lors de notre première rencontre à Santiago, en 2015, puis dans un nouvel essai, Plagiat et Intertextualité, rédigé après les « Conversaciones sobre la anti-novela » à la Faculté de Philosophie et Lettres de l’Université du Chili.

    La Recherche n’est donc pas un antiroman… et elle n’est pas non plus un roman, en dépit de tous les efforts de l’establishment édito-littéraire pour qu’il en soit ainsi. Le prestige du prix Goncourt et les affaires du clan Gallimard dépendent d’une appellation qui « fait vendre ». Proust, lecteur-écrivain qui avait présenté timidement son manuscrit à Monsieur Grasset pour lui demander de le publier à compte d’auteur (il paya environ 10.000 euros d’aujourd’hui, amputant son texte de quelques centaines de pages « inutiles » d’après l’éditeur), ne s’intéressait pas beaucoup à la Rhétorique. Il écrivait suivant son propre génie. Et ce génie l’amenait hors des limites du roman traditionnel, le roman de personnages, celui-là même que Dostoïevski avait fait évoluer jusqu’à son apogée grâce à la polyphonie romanesque. La Recherche, j’insiste, n’est pas un roman, ni un antiroman, ni un Intertexte, mais une autofiction, genre intermédiaire entre le roman et l’Intertexte. C’est à peu près ce que je « démontre » (Proust disait que son œuvre était une « démonstration ») dans mon essai présenté à l’Institut Gorki en novembre 2019.

   La définition de la Recherche comme « autofiction », genre « intermédiaire », est très importante. Il est impossible de quitter la forme « roman » d’une façon abrupte. Plusieurs siècles d’habitudes romanesques ont engendré une puissante inertie, très difficile à vaincre. L’Intertexte ne surgit pas brusquement, il provient de plusieurs tentatives préalables : le Satyricon de Petronius peut être considéré comme un premier précurseur, presque vingt siècles avant Tristram Shandy de Laurence Sterne et de l’Ulysses de James Joyce. Or, la Recherche est aussi un texte précurseur d’une nouvelle forme où le lecteur cesse d’être un agent passif et peut devenir, comme Marcel Proust lui-même, un écrivain actif. Tout dépend de son désir d’écriture, car il n’est pas tributaire d’un éditeur pour savoir si ce qu’il écrit est « bon ou mauvais », « rentable ou pas rentable » mais, grâce à l’éditorialisation, il peut écrire (lire-écrire) selon les dictées de sa propre conscience et partager sa création dans un « réseau d’intelligences » réceptif, éloigné de considérations mercantiles.

      Si la définition de l’éditorialisation de Vitali-Rosati fut déterminante pour me permettre d’esquisser une théorie de l‘Intertexte, sa thèse de doctorat à l’Université de Pise, Riflessione e Trascendenza, m’apporta aussi une grande aide pour observer l’Intertexte d’un point de vue strictement logique. En effet, la logique qui régit la structure du roman est la logique aristotélicienne, la logique formelle, la même que Newton applique dans sa théorie de la gravitation. Le roman est newtonien. (Je parle de l’architecture du roman et non pas de son contenu, évidemment.) Or, la logique de l’Intertexte suppose une logique différente, puisque son approche du temps et de l’espace en tant que espace-temps, est « einsteinien ». Et c’est la logique de la transcendance, telle que la conçoit Vitali-Rosati dans son analyse de l’Éthique de Lévinas (« Les idées lévinassiennes ne respectent pas les principes de la logique formelle, elles semblent plutôt se fonder sur une logique "autre"), la logique qui permet aussi de mieux comprendre la structure de l’Intertexte, où le temps et l’espace sont bouleversés par le jeu intertextuel et par la relation lecteur-écrivain.

        « La logique formelle est fondée sur une conception du Temps comme étant continu. Il est possible de parler logiquement à tout moment du futur si le Temps est quelque chose d’homogène. L’acceptation d’une discontinuité du Temps conduirait à une série de paradoxes que la logique formelle ne peut pas admettre (...) La validité du principe de causalité est impensable pour celui qui pense à la possibilité des sauts du Temps, d’un morcellement qui casse la relation entre présent, passé et avenir », précise Vitali-Rosati.

      Ces « sauts du Temps » constituent un phénomène typique de l’Intertexte : La Société des Hommes Célestes (un Faust latino-américain) reflète, sans peur des « contradictions » chronologiques ou autres, dans un même texte, le Faust de Marlowe (1592), celui de Goethe (1808-1832), de Thomas Mann (1947), de Valéry (1946), etc.

       Parlant de « contradictions », Vitali-Rosati rappelle la pensée du psychanalyste et logicien chilien, Ignacio Matte Blanco, auteur du livre The Unconscious As Infinite Sets (Londres 1980), où il examine magistralement la logique de l’Inconscient :

« Nous suivons une suggestion de Matte Blanco qui nous a inspiré les idées que nous allons proposer. Dans le même texte auquel nous faisions référence en parlant de la logique symétrique qui serait à la base du fonctionnement de l’Inconscient, Matte Blanco s’aperçoit d’un besoin analogue à celui que nous avons signalé : la nécessité de concilier le principe de non-contradiction avec la possibilité réelle de la contradiction ».

Cette conciliation est possible en littérature grâce l’Intertexte. En outre, définissant dans sa thèse Riflessione e Trascendenza le « plan de réflexion », Vitali-Rosati signale :

« Un plan de réflexion est un système à deux dimensions dans lequel à chaque point (x, y) est associée une proposition, c’est-à-dire une icône ».

Précisément, La Farce Pornotragique ou l’examen de faustologie, texte proposé à la fin de La Société des Hommes Célestes, illustre concrètement le système à deux dimensions de l’intertextualité : chaque citation du texte principal de la SHC est associée à une proposition d’un Faust classique.

    « La logique formelle ne suffit pas pour expliquer la rencontre avec l’altérité », insiste Vitali-Rosati. Mais qu’est-ce que l’Altérité ? «L’altérité est tout ce qui reste indépendant de n’importe quel rapport : à partir de maintenant le mot "Autre" doit être compris comme synonyme de transcendance. L’Autre n’est pas seulement l’autre homme (...) Même un objet est "Autre" dans la mesure où il est différent du sujet qui cherche un rapport (...) Le sujet s’ouvre dans le sentiment d’être la condition de la possibilité de l’expression de l’Autre : sans moi (autoréférence) la voix reste inaudible (…) Que l’altérité s’exprime "pour moi" ne signifie pas que je la possède mais que je suis le "moyen" d’expression de l’altérité »

      Voici donc une nouvelle analogie possible avec l’Intertexte, forme narrative tissée avec un ensemble de citations qui trouvent leur origine dans l’expression de l’auteur cité. Expression manifestée à travers un « pour soi » autoréférentiel : l’écrivain intertextuel n’occulte pas l’écrivain cité, comme cela advient dans le plagiat, lequel détruit toute altérité. Cet « aplatissement » (appiattimento) advient habituellement dans le roman, que nous pourrions peut-être considérer, suivant la logique de la réflexion et de la transcendance, comme une forme réflexive « inauthentique », où l’altérité n’est jamais trouvée. L’écrivain et le lecteur sont irrémédiablement séparés. En revanche, dans l’Intertexte, ouvert au lecteur-écrivain, l’altérité peut se consolider esthétiquement, scripturalement. « En ce sens, l’homme est, principalement, écriture, concrétisation du langage. », soutient Vitali-Rosati. 

     Ceci ouvre les portes à une véritable révolution dans la communication humaine en général, et dans la littérature en particulier : l’homme-communicant, notamment dans l’univers du numérique, répétons-le, cesse d’être un simple lecteur comme dans le roman, il peut devenir « lecteur-écrivain », comme dans l’Intertexte.

      Au début de l'année 2019, Sens Public publia un entretien du dramaturge, metteur en scène et réalisateur de cinéma, Peter Brook - Presence and Creation- réalisé en 2016 dans le cadre de la Academy of Arts of New York par le peintre et architecte chilien, Pedro Pérez-Guillón. L’entretien, publié simultanément en anglais, français et espagnol grâce à l’effort de Servanne Monjour et de son équipe SP à Montréal, se développe essentiellement autour du théâtre et des arts plastiques. La littérature n'y est abordée que tangentiellement. Ayant été moi-même élève de Peter Brook pendant sept ans (1979 -1986) à l'Institut Gurdjieff de Paris (sous la direction de Madame Jeanne de Salzmann et du docteur Michel de Salzmann), il me semble utile et nécessaire de regarder mon travail théorique à la lumière de la pensée de celui qui est considéré comme l'un des hommes de théâtre parmi les plus importants de notre époque, mais qui restera aussi dans la mémoire de notre temps comme un guide spirituel.

     La difficulté est considérable, d’autant plus que le mécanisme de création dans la littérature narrative -le roman en particulier- est plutôt réfractaire à une approche "spirituelle", contrairement à la poésie. Peut-être pourrions-nous considérer À la Recherche du Temps Perdu comme une exception. Le Livro do Desassossego du poète portugais Fernando Pessoa, pourrait aussi être lu comme une œuvre de fiction narrative où la spiritualité est intensément perceptible par le lecteur attentif. Cet ouvrage, transcendantal dans la littérature occidentale, est comparable par sa profondeur aux écrits du poète et maître spirituel indien, Krishnamurti. Coïncidence rhétorique étonnante, tous deux ont constamment recours à l’oxymoron comme figure de style, mais ils s’opposent formellement et fondamentalement dans la mesure où Krishnamurti propose un chemin d’apaisement et de douceur pour atteindre en soi la présence de l’être, tandis que Pessoa reste dans la constatation de l’absence de cette présence chez l’homme ordinaire et se limite à poétiser son désespoir. Même ainsi, son œuvre constitue l’un des rares exemples de haute spiritualité dans la littérature du XXe siècle.

       La création et la présence dans le sens où Peter Brook en parle dans cet entretien, semblent étrangères à la narration, surtout lorsqu’il s’agit de longs récits romanesques. Y a-t-il quelque chose d’authentiquement spirituel dans Les Frères Karamazov ? Peut-on parler de "spiritualité" quand Dostoïevski introduit le personnage d’Aliocha, le jeune novice serviteur et dévot de son starets moribond, ou lorsque le romancier fait parler Le grand Inquisiteur pour accuser le Christ de ne pas tenir ses promesses ? Il ne faut pas confondre spiritualité et "bondieuserie". La conscience de soi des personnages dostoïevskiens et leurs dialogues autour du christianisme orthodoxe ne sont pas plus "spirituels", malgré leur prétendue liberté polyphonique, que les réflexions monophoniques, densément psychologiques et matérialistes, des romans philosophiques de Jean-Paul Sartre ou d'Albert Camus.

       L’Intertexte cherche à s'approcher au plus près de la conscience de soi de l’écrivain et de celle du lecteur. La spiritualité se joue sur ce niveau-là, celui de la conscience. En introduisant l’intertextualité comme mécanisme central de la narration, je cherche à créer un jeu de références qui me permet -en tant qu’écrivain- de prendre en compte consciemment l’écriture d’autrui et de laisser ouverte une nouvelle proposition textuelle au lecteur qui, à son tour, peut l’utiliser comme un nouveau système de références et ainsi de suite.

   « Ce qui est terrible dans les universités et les écoles d’art, c’est qu’elles commencent toujours par la forme », se plaint Peter Brook. Ce que nous cherchons (toujours avec l’aide de la forme), c’est trouver ce qui peut illuminer la forme. Et c’est ce qui peut illuminer la forme qui est vraiment valable. Si nous sommes attentifs à la vie, nous pouvons sentir que la vie est en mouvement permanent et, par conséquent, ses formes changent aussi tout le temps. Les grands artistes de toutes les époques sont conscients que la vie et ses formes changent constamment. Et c’est pour cette raison que pour un compositeur de notre temps écrire de la musique à la façon de Stravinsky ou de Bach, n’a aucun sens. Ces formes-là étaient très justes à leur époque. Plus tard, on les reconnaît, on les enregistre et on les inclut dans ce qu’on appelle "Histoire de l’art". Plus tard, il arrivera un moment où l’artiste sentira le besoin d’un changement et, comme Picasso, il dira : "Non, nous ne pouvons pas continuer à faire les choses de la même façon qu’il y a 50 ans, nous ne pouvons pas continuer à faire des peintures naturalistes parfaites, il y a quelque chose de nouveau qui doit être révélé et il faut essayer de chercher quelle est la forme adéquate pour cela".

   Peter Brook reconnaît la nécessité d’innover, de trouver des formes nouvelles pour exprimer ce qu’il y a de nouveau dans l’évolution de la vie humaine. Pour moi la "forme roman" est dépassée, périmée, elle ne correspond plus aux besoins de l’individu ni à ceux de la société. L’invraisemblable banalité des romans encensés par la critique des journaux est consternante. La cascade des prix littéraires déversés sur la production romanesque mondiale dissimule la basse qualité des ouvrages proposés néanmoins comme des "chefs d’œuvre de la littérature universelle", tous façonnés à peu près sur la même forme. Il faut trouver une issue pour échapper à cette médiocrité formelle qui ronge de l'intérieur la littérature la transformant dans un simple objet de consommation, en pitoyable "parole putanisée", comme dit Gurdjieff dans le prologue de Rencontre avec des hommes remarquables, livre devenu un film réalisé par Peter Brook en 1978-1979. Et je vois dans l’Intertexte l'un des moyens de mettre fin à cette dérive et de redonner à la littérature une nouvelle vitalité.

      Je mets fin à cet historique en faisant référence à mon dernier livre Théorie de l’Intertexte, ouvrage où je réunis l’ensemble de mes réflexions sur l’Intertexte, en y incorporant un dernier essai, Exercices de théorie littéraire et théorie de l’Intertexte. Dans cet essai, je prends à rebours, comme je l’avais fait en 2012 avec la pensée de Bakhtine, les idées de Sophie Rabau sur la théorie littéraire. En substance, pour Sophie Rabau (maîtresse de travaux à la Sorbonne Nouvelle, experte en Rhétorique, devenue romancière et qui nie, par conséquent, la réalité de l’Intertexte), la théorie littéraire ne sert pas à grande chose : « Peut-être donc peut-on aussi répondre à cette question (l’utilité et la pertinence de la théorie littéraire) en disant que théoriser sert à théoriser, la théorisation a pour but premier la production théorique. ». Autrement dit, tisser de l’air avec de l’air ?

  
En vérité, la théorie de la littérature, tout en étant parfois en apparence très abstraite, cesse de l’être dans la mesure où elle s’applique aux exemples concrets de l’histoire de la littérature. L’Intertexte, étant donné sa construction, comporte, dans une certaine mesure, sa propre théorie, théorie qui sera peut-être différente d’Intertexte en Intertexte. Il n’y a pas une théorie de l’Intertexte, il y a autant de théories que d’Intertextes. C’est aussi l’une des différences essentielles avec le roman, généralement explicable par des théories globales extérieures à sa textualité, théories qui analysent les romans les plus divers utilisant toujours les mêmes paramètres. Or les théories romanesques sont, en principe, extérieures aux romans eux-mêmes. Le romancier s’occupe de narrer, non de théoriser. En revanche, l’écrivain intertextuel en tant que lecteur-écrivain est appelé à théoriser sur son propre texte : il incorpore la théorie littéraire presque comme un élément narratif de plus. Ce faisant, il réalise une véritable « autocritique » de son travail. Le lecteur-écrivain se place dans une perspective d’auto-conscience. Il est, par définition, plus conscient que le romancier ordinaire, lequel se perd souvent dans les fictions désastreuses de son développement textuel. La « nouvelle littérature », sciemment intertextuelle, appuyée sur une « nouvelle édition », l’éditorialisation, redeviendra un moyen précieux du développement de l’intelligence et de la conscience, comme elle l’a été aux moments les plus lumineux de l’histoire de l’Humanité.











 













 

 

 

 

              Un tercer (y último) ciclo, esencialmente teórico y centrado sobre los aspectos formales del Intertexto en cuanto modalidad narrativa post-novelesca, comenzó a estructurarse en 2003-2004. Hasta entonces sólo las interrogaciones formuladas por los escritores de la Nouvelle Fiction Française a propósito del Intertexto, me habían hecho sentir la necesidad de responder mediante conceptos estéticos. Erróneamente había creído que mis textos de ficción literaria eran suficientes. Así, como consecuencia de un coloquio internacional que organicé en 1998 en Calaceite (Teruel, España) para el grupo de escritores presidido por Frédérick Tristan, escribí En marge d’André Pieyre de Mandiargues (Songe intertextuel autour de la Nouvelle Fiction) con el fin de aclarar el problema. No fue el caso. Incluso la publicación en París del Portrait d’un Psychiatre Incinéré (Éditions de la Différence, 1999) y de La Guérison (id., 2001), textos comentados más o menos elogiosamente por la crítica parisina, no bastaron para suprimir las ambigüedades en torno al Intertexto, tanto más cuanto Joaquim Vital, el director de La Différence, me pidió publicar esos dos libros bajo la rúbrica ‘ novela ’ por razones comerciales. (« Si publico tus libros bajo la rúbrica ‘intertexto’, te puede pasar lo mismo que le ocurrió a Breton con Les Champs Magnétiques en Nueva York, donde los libreros pusieron el libro en la sección ‘electricidad’. Aquí en París tú podrías descubrir La Guérison en la sección ‘informática’). Por su parte, los críticos franceses, belgas y suizos estimaron que mis libros eran novelas droláticas un poco extrañas, pero novelas al fin y al cabo.

 

 En 2004, invitado a participar en el encuentro anual de Belles Latinas en Lyon, programé un « intertexto colectivo » con los estudiantes del prestigioso liceo Édouard Herriot. en torno a la leyenda de Fausto. Gérard Wormser, doctor en filosofía y profesor en l'École Normale Supérieure de Lyon, fundador de la asociación Sens Public (revista electrónica plurilingüe y casa editorial), me ayudó a guiar a los alumnos en la escritura electrónica de este Intertexto colectivo experimental. Sin embargo sólo fue al año siguiente, en el Manifeste pour une nouvelle littérature?, presentado simultáneamente con la edición de La Société des Hommes Célestes en el stand de Sens Public en el Salon du Livre de Paris (2005), que fue cuestión, por  primera vez, de una formalización conceptual del Intertexto en cuanto género post-novelesco.


La Sociedad de los Hombres Celestes (un Fausto latinoamericano) una obra tejida con cientos de citaciones extraídas de los Faustos clásicos, publicada bajo el título explícito de “Intertexto”. El idioma de base es el francés, pero a través de las citas de los textos fáusticos originales, el texto se abre constantemente al multilingüismo. El libro fue publicado en papel e impreso en España bajo la supervisión de Chantal Waszilewska y Émilie Tardivel, por entonces secretaria de Sens Public. La belleza de la portada y de la maqueta del libro, diseñadas por el pintor peruano Herman Braun-Vega, llamó la atención del Salon du Livre y un ejemplar del libro se colocó en la sala reservada a los mejores “libros-objetos”. Al mismo tiempo, gracias a las nuevas tecnologías, el texto comenzó a surgir en una versión electrónica donde las citas son "activas". El lector ya no tiene que buscarlas en la parte inferior de la página o al final del libro y puede acceder inmediatamente, durante su lectura digital, tanto al texto original de la cita como a su hipertexto (obra primigenia, idioma y edición). La versión electrónica, a cargo de Chantal Waszilewska, sólo se ha completado para El Castillo de Mefistófeles o el examen de faustología, farsa que cierra la obra. “Cerrar” no es el verbo a utilizar en el caso de La Société des Hommes Célestes (un Faust latino-américain) pues, como Intertexto, el libro está abierto al lector. En efecto, el lector, apoyándose sobre las facilidades ofrecidas por el soporte digital y agregando nuevas citaciones, puede participar en la evolución de una obra que se inscribe en la larga tradición fáustica, iniciada en 1583 con el Volksbuch von Doktor Johannes Faustus, primera transcripción literaria de la leyenda del Doctor Fausto, leyenda periódicamente enriquecida y perpetuamente inacabada. La versión en español del libro sólo existe actualmente en papel (CS 2011). No es una simple traducción del texto francés, sino una "traducción intertextual" que implica modificaciones a veces muy significativas del texto original. Sin embargo, el eje del libro, en sus dos versiones, es el mismo : un fresco de la educación occidental en el siglo XX, desde el kindergarten hasta el doctorado... en faustología, por supuesto.


En marzo 2006 tuvo lugar la presentación de La Société des Hommes Célestes en la Maison de l’Amérique Latine en París y luego, dos meses después, en los salones de la Embajada de Chile bajos los auspicios del embajador, Hernán Sandoval (y de su esposa, Lucía Melo), de Raúl Fernández y Jaime Chomalí, secretarios encargados de los asuntos culturales. En el evento participaron el pintor peruano Herman Braun-Vega, el periodista de Radio France Internationale, Fernando Carvallo, Gérard Wormser y Sophie Rabau, profesora de literatura comparada en La Sorbonne Nouvelle, quien me había anteriormente invitado a dar una conferencia sobre La Guérison y escrito al respecto un artículo publicado por la universidad Stendhal de Grenoble. En el público reunido en la embajada se encontraban también Julie Peslier, doctora en faustología (Universidad Vincennes Paris VIII, Vincennes Saint-Denis) y Alejandro Canseco-Jerez, profesor de literatura latinoamericana en la Universidad Paul Verlaine de Metz y en la EHSS, École des Hautes Études en Sciences Sociales de París.






Embajada de Chile en Paris : a partir de la izquierda, Gérard Wormser, Herman Braun-Vega, Fernando Carvallo, Roberto Gac, Sophie Rabau.



Poco después se realizó la presentación del libro en España (castillo de Valderrobres, Aragón, julio 2006), paralelamente a la retrospectiva de Braun-Vega, pintor que defino en uno de mis ensayos como  «maestro de la interpicturalidad », término -la interpicturalidad- que deriva del concepto de la intertextualidad literaria. Efectivamente, lo que yo intentaba a nivel de la literatura, otros artistas lo intentaban en sus propias disciplinas. Así, Braun-Vega « cita » en sus cuadros a los grandes maestros de la pintura : Velázquez, Rembrandt, Rubens, Ingres, Goya, Cézanne, Gauguin, Picasso, etc. Obras como Double éclairage sur Occident (1987) con ‘emprunts’ a Vélazquez y a Picasso, La leçon à la campagne (1984) en la cual es ‘citado’ Rembrandt, o bien el inmenso tríptico  (lápiz y carboncillo) ¿La realidad es así? (1996), concebido alrededor de Goya y Picasso, así como decenas y decenas de cuadros « interpicturales », muestran que otros artistas de vanguardia buscan  reanudar el lazo con la corriente central del clasicismo y a salir de las formas estereotipadas  y desvitalizadas del arte y de la literatura de nuestra época.







                    Programa del encuentro en Valderrobles con el tríptico  ¿La realidad es así?

 

Varios miembros de Sens Public presentes en el castillo de Valderrobres dieron conferencias sobre el significado de la intertextualidad (Ingeburg Lachaussée, germanista, Maître de conférences de philosophie politique à Sciences Po), de la interpicturalidad (Madeleine Vallette-Fondo, Maître de conférences à l'Université de Paris-Est, Marne-la-Vallée) y de la intermusicalidad (Margarita Celma, doctora en musicología, directora de la Coral Mataranya), mientras que el cineasta Yann Kilborne (maître de conférences à l’Université Bordeaux-Montaigne) prolongó sus reflexiones hacia el cine. La aparición del Intertexto como nueva forma narrativa post-novelesca no es entonces un fenómeno aislado de otras prácticas artísticas, sino al contrario, forma parte de un movimiento de renovación de la cultura contemporánea en cuyo seno el multiculturalismo, el plurilingüismo y el intercambio de principios estéticos y de técnicas es determinante.

                                                              


Pese a todas estas conferencias y debates, yo seguía encontrando grandes dificultades para resumir y expresar conceptualmente mi trabajo y mis intenciones, sobre todo frente a los editores que dudaban en publicar textos no solamente « vanguardistas », destinados en principio a un público restringido, sino que además imponían complejas y costosas exigencias técnicas, prácticamente insuperables para la edición convencional. En el Manifiesto había llamado la atención sobre un hecho inevitable : « no habrá una nueva literatura sin un nuevo sistema de edición ». El rechazo de los editores tradicionales (incluso Sens Public, todavía en sus comienzos como editorial), para publicar Madre/Montaña/Jazmín a causa de sus dibujos y colores, confirmaba esta situación. El Intertexto parecía destinado a perderse como modalidad narrativa o a quedar como una simple curiosidad en la historia de la literatura.

Fue entonces que descubrí Create Space, la estructura de ‘self-edition’ inaugurada por Amazon en Estados Unidos. Según lo cuento en mi artículo Revolución en la edición literaria (Agoravox, octubre de 2011), todo lo que había imaginado a propósito de la evolución indispensable de la edición tradicional para hacer factible el desarrollo de una nueva literatura, había sido realizado  por un grupo de escritores americanos cuyas denuncias de la pusilanimidad y ‘affairisme’ de los editores convencionales habían sido escuchadas y comprendidas por Amazon. Pude entonces editar Madre/Montaña/Jazmín siguiendo mis propias exigencias, decidiendo personalmente cada aspecto formal de la edición, prolongando así el proceso creativo de la escritura. Luego, siguiendo el mismo procedimiento, publiqué la totalidad de mis manuscritos inéditos, entre ellos El Rapto de Sabina, libro a la vez intertextual e interpictural que contiene reproducciones ‘full color’ de las Anunciaciones de Florencia, cuyo manuscrito había sido rechazado por los editores bajo el pretexto del elevado costo de su impresión, costo en cambio abordable dentro de los parámetros de la ‘new fashion edition’. Y pude también, al fin, desarrollar, completar y publicar mis textos teóricos, poco o nada comerciales, sobre el Intertexto (Bakhtine, le Roman et le Intertexte, Dialogue intertextuel avec Bakhtine, etc.), reunidos en el Manifiesto por una Nueva Literatura, ahora desprovisto del signo de interrogación que acompañaba su primera versión en 2005.

 

Tras la reunión en el castillo de Valderrobres, continué en París el proceso de teorización del Intertexto. Una vez más, cuando creía haber alcanzado una estabilidad suficiente en mi enfoque intertextual, choqué con una realidad lamentable : el mercado literario, sólidamente protegido contra cualquier intento de ir más allá de la novela, eje principal de la industria literaria. En el mundo de la literatura actual, fundamentalmente novelesca, el Intertexto como nueva modalidad narrativa, que implica además un cambio en el mecanismo de edición, sólo podía interesar a los investigadores lingüísticos. Tampoco fue el caso. Ya había intentado acercarme a los escritores de la vanguardia francesa “oficial” (Correspondance unilatérale avec Sollers) para compartir mis investigaciones, sin ningún éxito. La crítica de la novela como género narrativo había sido archivada y convenientemente olvidada en interés del comercio editorial. Ahora bien, eso no me impidió rescatar la opinión de Roland Barthes sobre las vanguardias en general, incluyendo al grupo Tel Quel, del cual fue un miembro emérito :



Sin duda hay revueltas contra la ideología burguesa. Esto es lo que generalmente se llama vanguardia. Pero estas revueltas son socialmente limitadas, siguen siendo recuperables. En primer lugar porque provienen de un fragmento de la burguesía, de un grupo minoritario de artistas, de intelectuales, sin otro público que la misma clase a la que desafían, y siguen dependiendo de su dinero para expresarse. Además, estas revueltas siempre están inspiradas sobre la base de una diferencia entre el burgués ético y el burgués político: lo que la vanguardia impugna es el burgués en el arte, en la moral, como en la época del romanticismo ocurría con el almacenero, el boticario, el filisteo. Pero de protesta política, nada. Lo que la vanguardia no tolera en la burguesía es su lenguaje, no su status. Este status no necesariamente lo aprueba, pero lo pone entre paréntesis : cualquiera que sea la violencia de la provocación, lo que asume en última instancia es el hombre abandonado, no el hombre alienado (...)",

advierte Barthes en su célebre libro, Mitologías, consciente de los límites de su actividad vanguardista. Unos años más tarde precisará su posición :

“Por eso podría decir que mi propia posición histórica es la de estar en la retaguardia de la vanguardia : ser de vanguardia es saber lo que ha muerto; estar en la retaguardia es todavía amarlo. Me gusta la novela, aunque sé que la novela está muerta.”

 

La lucidez de Barthes me dejó atónito. El mayor teórico contemporáneo de la literatura francesa, cuya luz (a veces “oscilante”) iluminó la sinuosa y a menudo confusa trayectoria de Tel Quel, señala la existencia de un muro prácticamente insuperable para cualquier escritor de vanguardia : los intereses y valores estatutarios de la burguesía, es decir, de la sociedad capitalista. La novela, vanguardista o no, satisface estos intereses para continuar existiendo. Y el escritor, si quiere publicar y ganar dinero, tiene que proclamarse “novelista” y elogiar la novela. Dadas estas circunstancias, ¿cuáles eran las posibilidades de supervivencia o de simple manifestación de un nuevo género narrativo como el Intertexto, que busca ir más allá de la novela? Se pueden inventar los objetos literarios más sofisticados en la intimidad de los laboratorios lingüísticos, pero a condición de no cruzar las fronteras marcadas por la burguesía. De lo contrario, el intento vanguardista será asfixiado. Es lo que le ocurrió al grupo Tel Quel tras la muerte de Roland Barthes, como cuento en L’énigme romanesque de Roland Barthes”. En consecuencia, cualquiera pretensión de que el Intertexto sea reconocido, aceptado y promovido en el mundo convencional de las letras, dependiente de la imprenta y del soporte en papel, parecía irrisoria. No tenía sentido recordar los ejemplos clásicos de Schopenhauer, Cézanne, Pessoa, Kafka y otros creadores e innovadores, grandes o pequeños, que murieron desconocidos o no reconocidos. Sin embargo, al menos desde un punto de vista teórico, todavía había algo que desarrollar sin hacer concesiones al establishment editorial-literario: la reflexión sobre la libertad de creación, siempre mencionada, pero rara vez respetada en el universo novelesco y sobre la libertad de publicación, ambas esenciales para el Intertexto. Sobre este punto, la ayuda brindada por Marcello Vitali Rosati, profesor de literatura e investigación digital en la Universidad de Montreal, miembro de Sens Public, fue fundamental para mí.

 

En 2004 tomé la decisión de seguir el enfoque mediático de Gérard Wormser, radicalmente opuesto al camino seguido por los medios de comunicación convencionales. Wormser había comprendido, desde el inicio de Internet, el inmenso alcance de la revolución cibernética en una época en la que eminentes “sorbonnards” todavía creían que Internet y las computadoras no eran más que una nueva moda, condenada a una rápida desaparición para alivio de una generación de profesores ya ancianos, incapaces de aprender a utilizar los dispositivos electrónicos. Sus esfuerzos se basaron en la nueva realidad tecnológica, una plataforma bienvenida e imprescindible para el Intertexto que encontraría en la editorialización, tal como la definen Wormser y Vitali-Rosati, el método para superar la barrera que opone la burguesía (Barthes dixit) a la libertad de creación y a la libertad de publicación.

 

¿Qué es la editorialización?, me preguntaba en un breve ensayo Editorialización y Literatura, publicado en marzo de 2016. Hay dos respuestas posibles que recuerdan analógicamente a Einstein y sus dos teorías de la relatividad : la restringida, de Marcello Vitali-Rosati, que se refiere principalmente sólo al mundo de la edición ; la otra, más general, de Gérard Wormser, que engloba todo un conjunto de manifestaciones del mundo digital. Empecemos por esta última: “Llamamos editorialización al proceso de explicación dialógica que permite a los grupos estructurar sus intercambios y convertirse en actores de las redes de conocimiento”, señala Wormser en su conferencia Globalización y Editorialización (Salón Dionys’Hum, 2015). Pasemos ahora a la definición más restringida, la que se limita al mundo editorial:

“Podemos definir la editorialización como un conjunto de dispositivos técnicos (la red, servidores, plataformas, CMS, algoritmos , motores de búsqueda), estructuras (hipertexto, multimedia, metadatos), prácticas (anotación, comentarios, redes sociales), que permiten producir y organizar contenidos en la web”

propone Vitali-Rosati. Y volviendo al problema específico de la edición “en papel”, precisa:

“La apertura de la editorialización, comparada con la edición en papel, implica una cierta pérdida de control por parte del editor sobre el contenido. Podríamos decir que el editor ahora sólo representa una parte del cuerpo editorial, que se ha convertido en algo mucho más amplio. Esta apertura es lo que conecta la editorialización con una forma de circulación particular de conocimientos y contenidos : una forma en red, diseminada y fragmentaria. La editorialización produce una especie de inteligencia en red... o una red de inteligencias. La editorialización se refiere a una dimensión colectiva del conocimiento.”

Y a una dimensión colectiva de la literatura, se podría añadir.

 

Editorialización y literatura resume mi tentativa vanguardista más audaz pues cuestiono no sólo la novela, sino todo el aparato comercial montado por los editores actuales, incluidos los más prestigiosos. Criticarlos, como se atrevió a hacerlo el joven Barthes, ya era arriesgado, pero denunciarlos como responsables de la decadencia de la literatura contemporánea, transformada por su intermedio en una especie de entretenimiento banal, era temerario. Muchos escritores que trataron de liberarse de las reglas, por no decir "prohibiciones" explícitas o tácitas, impuestas por los editores, han pagado muy caro esta insolencia. Fueron excluidos o frenados (fue el caso de Barthes) en las editoriales donde habían sido publicados, encontrando luego las puertas cerradas en cualquier otra editorial (fue mi propio caso en España y también en Francia). Pasaron a estar “en la lista negra”, es decir, catalogados como peligrosos para il negozio literario, un negocio en el que no es el escritor quien decide, sino el editor, actor principal de un proceso que no tiene nada de “colectivo” a pesar de sus apariencias. La multitud de lectores profesionales, agentes, comités de lectura, impresores, publicistas, críticos, periodistas, attachés de prensa, presentadores de televisión, locutores de radio, libreros, etc., conglomerado impresionante de trabajadores del mundo de las letras, sólo enmascara el centro de gravedad de un sistema centrado no en el escritor, sino en el editor, “individuo” que compromete su dinero lanzando un producto al mercado a menudo modelado según sus parámetros estéticos personales o, mejor dicho, según sus deseos y sus caprichos. Describo esta situación en otro de mis artículos, Revolución en la edición literaria, que recoge algunas anécdotas a veces divertidas, a veces trágicas, sobre el control y dominio de los editores sobre los escritores. Pero esta revolución en la edición literaria sólo afecta a la publicación en papel, todavía esencialmente dependiente de la imprenta, y deja al margen el propio proceso creativo, hoy dependiente de la tecnología digital..   

La editorialización pone fin a todo eso. Siempre que se ponga en práctica, desde luego. Lo cual no es evidente. De hecho, el escritor de hoy, especialmente el novelista, incluso el más maltratado y despreciado por el establishment literario o, por el contrario, el más glorificado y enriquecido por los editores, tiene una actitud esencialmente pasiva ante todos estos fenómenos. El novelista quiere un editor que se ocupe eficazmente de su trabajo (“paternalmente”, se podría decir). Para él, su trabajo está terminado cuando entrega su manuscrito. Su publicación no le preocupa y se siente muy aliviado de que sea así. Esta pusilanimidad, confortada sagazmente por el editor, es el hiatus que aprovecha para hacer lo que quiere con el trabajo del escritor. En cambio, en la editorialización (como es el caso en la auto-edicion en papel), el escritor debe tener una actitud decididamente activa. Es él, con su esfuerzo creativo, quien decide de todo lo concerniente a su obra literaria, en la medida en que se abre a una “red de inteligencias” basada en la solidaridad y la honestidad intelectuales, red llamada a participar colectivamente en la creación de la obra.

 

En 2012 abordé el problema del lector-pasivo/lector-activo (el lector pasivo es, principalmente, el lector de novelas) en un ensayo, Bajtín, la novela y el Intertexto, donde exploré el pensamiento del erudito ruso. Deslumbrado por su erudición y por el estilo de su escritura, que me recordó Hegel y su Fenomenología, tomé muy en serio todo que decía sobre la novela, proclamada “forma suprema y definitiva de literatura”. Desmontar sus argumentos no fue fácil. Y, sin embargo, había que hacerlo. El defecto esencial, el pseudo proton de su teoría de la novela es detectable desde el comienzo de su lógica (sin embargo muy rigurosa) : la amalgama entre la novela y la literatura narrativa, amalgama refutable dado que la novela es un género literario secular y la literatura narrativa, una práctica milenaria. Y su principal debilidad, la de no analizar semiológicamente la relación entre lectura y escritura, entre el lector y el escritor, análisis que realizaría años más tarde Roland Barthes. Para Bajtín, entre el novelista y el lector no puede haber otra relación que la de lectura. La novela es una estructura cerrada, a la que el lector sólo tiene acceso leyéndola. En el Intertexto la relación escritor-activo/lector-pasivo es profundamente modificada y permite la aparición del lector-escritor. El Intertexto se desarrolla como un conjunto de sistemas de referencia textuales móviles, del cual el lector no queda excluido. Por el contrario, el lector deja de verse reducido a categoría de consumidor pasivo de un texto y está llamado a entrar en él para participar en su desarrollo. La invención de la escritura electrónica hace posible esta eventualidad, en apariencia utópica, y las nuevas tecnologías facilitan un fenómeno que será cada vez más frecuente.

 

El análisis del pensamiento de Bajtín que completé en mi Diálogo intertextual con Batín me permitió resolver muchas dudas sobre el Intertexto y pude confirmar su necesidad ineludible para ir más allá de la novela. El concepto “lector-escritor”, concepto respaldado por la “red de inteligencias” teorizada por Wormser y Vitali-Rosati, cambia radicalmente el centro de gravedad de creación literaria.

 

Vuelvo a la definición de la editorialización según Vitali-Rosati:

“Podemos definir la editorialización como un conjunto de dispositivos técnicos (la red, servidores, plataformas, CMS, algoritmos, motores de búsqueda), estructuras (hipertexto, multimedia, metadatos), prácticas (anotación, comentarios, redes sociales) que permiten producir y organizar contenidos en la web”.

Este contenido, tratándose de literatura es, precisamente, el Intertexto, que encuentra en el universo digital, concretamente en la web, el entorno ideal para su desarrollo. Cierto, los editores convencionales también pueden utilizar las herramientas cibernéticas pues facilitan muchas tareas de la publicación “en papel” (incluida la impresión de libros “uno a uno”, según la demanda), pero esto no cambia el hecho esencial : es el editor y no el escritor el centro de gravedad de la literatura, desequilibrio solidamente consolidado por el mecanismo de difusion de los editores. En otro de mis ensayos, Mme. Filipetti, Ministre de la Culture et romancière, denuncio esta concepción retorcida de la literatura como producto, en primer lugar, del editor. El escritor es el trabajador que le trae la mercancía a explotar. “¡Sin editor no hay literatura!”, dijo en substancia la Ministra novelista, ignorando al Roland Barthes de las Mitologías y su denuncia de la desviación mercantil de la literatura. El genial semiólogo afirma en su Teoría del Texto que el verdadero lector es aquél que quiere escribir:

“Sin duda, hay lecturas que no son más que un simple consumo: precisamente aquéllas en los que se censura la significación ; la lectura plena, al contrario, es aquélla donde el lector es nada menos que aquél que quiere escribir”.

 

Es el caso de Marcel Proust. El joven Proust soñaba con escribir y se desesperaba por no poder hacerlo, creyendo que le faltaba talento. Pero su deseo de escritura era tan intenso que llegó a llamarlo “su vocación”, sin la cual su vida no tenía sentido. Sus lecturas juveniles, especialmente la lectura de la obra de Anatole France, cuya prosa elegante y transparente lo había cautivado, pero también los artículos de Sainte-Beuve, el crítico literario más importante de su época, cristalizaron en él al “lector-escritor”. Leyendo la teoría de novela de Bajtín, me sorprendió que no tuviera en cuenta ni a Proust ni a su obra maestra, En busca del tiempo perdido, obra fundamental para comprender la evolución de la literatura narrativa. Misma omisión en lo que se refiere a Ulises y Finnegans Wake, de James Joyce. Sin embargo, él sabía de la existencia de los dos autores, reconocidos mundialmente desde la década de 1920 (Bajtín murió en 1975). Su indiferencia era incomprensible viniendo de un erudito como él. El “telón de acero” cultural entre la Unión Soviética y el resto de Europa no era suficiente para explicarla, como lo señalé en mi primer ensayo sobre el sabio ruso. Sólo resolví el misterio escribiendo un nuevo ensayo, Bakhtine, Proust et la polyphonie romanesque chez Dostoïevski, texto que presenté personalmente en el Instituto Gorky de Moscú, donde fui para participar en un encuentro literario organizado por Tatiana Victoroff y Luc Fraisse, profesor de literatura en la Universidad de Estrasburgo. La conferencia titulada “Proust / Bakhtine, regards croisés” se prestó particularmente bien para iluminar la problema. ¿Cómo conciliar el pensamiento del estudioso ruso y la creación del escritor francés ? ¿Y cómo entender la posición de Proust respecto de la novela, género que escapó a su deseo de escritura absoluta?



                                   Institut Gorki de Moscou.
                  Thèse de Bakhtine "L'Oeuvre de F.Rabelais et la culture populaire au Moyen-Âge et sous la Renaissance" M. Bakhtine, 1940 (C.Waszilewka et R. Gac)



  

A través del análisis de las novelas polifónicas de Dostoievski, Bajtín abre una pista para explicar su indiferencia ante Proust. Para él no sólo la novela es la forma suprema de literatura, sino que la novela polifónica corresponde al mayor logro estético de Dostoiewsky, válido para toda la literatura. Vista desde este ángulo, La Búsqueda (La Recherche) es sólo una novela monofónica más. Releyendo las 4000 páginas de la Recherche para preparar mi intervención en Moscú, descubrí que la teoría de la novela de Bajtín no puede aplicarse a la Recherche... simplemente porque A la recherche du temps perdu no es una novela. El propio Proust, al comenzar a escribir su obra magna, cuando de lector pasivo se convirtió en un escritor activo, no sabía si estaba escribiendo una novela... o “algo diferente”. Este “algo diferente” es una “autoficción”, género intermedio (para seguir aquí la terminología bajtiniana) entre la novela y el Intertexto, género que, además, no puede asimilarse en ningún caso a lo que se llama la “anti-novela ".

 

En 2017 fui a Santiago respondiendo a una invitación de David Wallace, profesor de literatura de la Universidad de Chile. Durante las “Conversaciones sobre la (anti) novela” (título del encuentro universitario), pude comprobar una vez más los innumerables malentendidos que rodean mi trabajo. Mis dos primeros libros, El Bautismo y El Sueño, publicados en España por Montesinos Editor (Barcelona, 1983-1985) bajo el seudónimo “Juan Almendro”, no son novelas sino antinovelas. En ellos seguí un poco la moda de la antinovela influenciado por Rayuela, la obra del escritor argentino, Julio Cortázar, y por las antinovelas del escritor chileno Juan- Agustín Palazuelos, obras premonitorias del fin de la época novelesca. Pues bien, me sorprendió descubrir que mis antinovelas, en particular El Bautismo, eran estudiadas en la Universidad de Chile desde hacía treinta años... sin que yo lo supiera. De hecho, exiliado primero en Estados Unidos, luego en Europa e impedido de regresar a Chile a causa del pinochetismo, prácticamente había cortado todos mis vínculos con mi país. Pero David Wallace había leído El Bautismo y lo había incorporado en las lecturas propuestas a sus alumnos. Sólo que mi trabajo era estudiado desde el ángulo de la antinovela. El Intertexto no existía para los estudiantes y en nuestras discusiones hicieron la comparación entre el Intertexto y el plagio. Relato estas vicisitudes en una entrevista con Wallace y en un nuevo ensayo, Plagio e Intertextualidad, escrito después de las “Conversaciones sobre la anti- novela” en la Facultad de Filosofía y Letras de la Universidad de Chile.








 

La Recherche no es una antinovela... y tampoco es una novela, a pesar de todos los esfuerzos del establishment editorial-literario para que sea así. El prestigio del premio Goncourt y los negocios del clan Gallimard dependen de una etiqueta que “vende”. Proust, lector-escritor que presentó tímidamente su manuscrito al señor Grasset para rogarle que lo publicara “a cuenta de autor” (pagó el equivalente de unos 10.000 euros actuales, obligándose a amputar su texto de cientos de páginas, “inútiles” según el editor), no se interesaba mucho en la retórica. Escribió según su propio genio, genialidad que lo llevó más allá de los límites de la novela tradicional, la novela de personajes, forma que Dostoievski había llevado hasta su apogeo gracias a su invención, la polifonía novelesca. La Recherche, insisto, no es una novela, ni una  antinovela, ni un intertexto, sino una autoficción, género intermedio entre la novela y el intertexto. Esto es más o menos lo que “demuestro” (Proust decía que La Recherche es una “demostración”) en mi ensayo presentado en el Instituto Gorky de Moscú en noviembre de 2019. La definición de La Recherche como “autoficción”, género “intermedio”, es muy importante. Desde un punto de vista histórico (materialismo histórico) es imposible salir de la forma “novela” de un solo golpe, de manera abrupta. Siglos de hábitos novelescos han generado una poderosa inercia, muy difícil de superar. El Intertexto no surge de repente, surge de varios intentos anteriores: el Satiricón de Petronio puede considerarse como primer precursor, casi veinte siglos antes que Tristram Shandy de Laurence Sterne y Ulysses de James Joyce. La Recherche también es un texto precursor de la nueva forma , donde el lector deja de ser un agente pasivo y puede convertirse, como el propio Marcel Proust, en un escritor activo. Todo depende de su deseo de escribir, porque no es tributario de un editor para saber si lo que escribe es “bueno o malo”, “rentable o no rentable”. Gracias a la editorialización, puede escribir (leer-escribir) según los dictados de su propia conciencia y compartir su creación en una “red de inteligencias”, alejado de consideraciones mercantiles.

 

Si la definición de la editorialización de Vitali-Rosati fue decisiva para esbozar una teoría del Intertexto, su tesis doctoral en la Universidad de Pisa, Riflessione e Trascendenza, me ayudó también a observar el Intertexto desde un punto de vista estrictamente lógico. La lógica que gobierna la estructura de la novela es la lógica aristotélica, la lógica formal, la misma que aplica Newton en su teoría de la gravitación. La novela es newtoniana. (Me refiero a la arquitectura de la novela y no a su contenido, obviamente.) Ahora bien, la lógica del Intertexto supone una lógica diferente, puesto que su acercamiento al tiempo y al espacio es “einsteiniano”. Esta lógica diferente es la lógica de la trascendencia, tal como la concibe Vitali-Rosati en su análisis de la Ética de Levinas (“Los levinassianos no respetan los principios de la lógica formal, parecen basarse en una lógica "otra"). La lógica de la trascendencia permite comprender mejor la estructura del Intertexto, donde la perspectiva newtoniana del tiempo y el espacio es revolucionada por el juego intertextual y por la relación lector-escritor.

“La lógica formal se basa en una concepción del Tiempo como algo continuo. Es posible hablar lógicamente en cualquier momento sobre el futuro si el Tiempo es algo homogéneo. La aceptación de una discontinuidad del Tiempo conduciría a una serie de paradojas que la lógica formal no puede admitir (...) La validez del principio de causalidad es impensable para cualquiera que piense en la posibilidad de saltos en el Tiempo, de una fragmentación que rompa la relación entre presente, pasado y futuro”,


afirma Vitali-Rosati. Precisamente, La Société des Hommes Célestes refleja en un mismo texto, sin temor a “contradicciones” cronológicas o de otro tipo, el Fausto de Marlowe (1592), el de Goethe (1808-1832), el de Thomas Mann (1947), el de Valéry (1946), el de Butor (1960-69), etc.

 

Hablando de “contradicciones”, Vitali-Rosati se refiere al pensamiento de psicoanalista y lógico chileno Ignacio Matte Blanco, autor del libro Unconscious as Infinite Sets (Londres 1980), donde examina magistralmente la lógica del Inconsciente:

“Seguimos una sugerencia de Matte Blanco que inspiró las ideas que vamos a proponer. En el mismo texto donde nos referíamos a la lógica simétrica, que sería la base de funcionamiento del Inconsciente, Matte Blanco percibe una necesidad análoga a lo que hemos señalado : la necesidad de conciliar el principio de no contradicción con la posibilidad real de la contradicción”.

Esta conciliación es posible en la literatura gracias al Intertexto. Ahora bien, definiendo en su tesis Riflessione e Trascendenza el “plano de reflexión”, Vitali-Rosati señala : Un plano de reflexión es un sistema bidimensional en el que cada punto (x, y)  está asociado a una proposición, es decir a un icono”. Precisamente, la Farsa Pornotrágica o el examen de la faustología, texto propuesto al final de La Sociedad de los Hombres Celestes, ilustra concretamente el sistema bidimensional de la intertextualidad: cada cita del texto principal de la SHC (el Fausto latinoamericano), está asociada a una proposición de un Fausto clásico.

 

La lógica formal no basta para explicar el encuentro con la alteridad”,

insiste Vitali-Rosati. Pero ¿qué es la alteridad?

“La alteridad es todo lo que queda independiente de cualquier relación: de ahora en adelante la palabra "Otro" debe entenderse como sinónimo de trascendencia. El otro no es sólo el otro hombre (...) Incluso un objeto es "Otro" en la medida en que es diferente del sujeto que busca una relación (...) El sujeto se abre en el sentimiento de ser la condición de una posibilidad de la expresión del Otro: sin mí (autor-referencia) la voz permanece inaudible (...) Que la alteridad se exprese "para mí" no significa que la poseo, sino que soy el “medio” de expresión de esa alteridad ”.

 

En estas proposiciones es posible establecer nuevas analogías con el Intertexto, tejido con un conjunto de citas que encuentran su origen en la expresión del autor citado. Expresión que se manifiesta a través de un “para sí” auto-referencial: el escritor intertextual no “aplasta”, ocultándolo, al escritor citado, como ocurre en el plagio, práctica que destruye toda alteridad. Este “aplastamiento” (appiattimento) ocurre normalmente en la novela, que podríamos considerar, según la lógica de Riflessione e Trascendenza, como una forma reflexiva “inauténtica”, donde nunca se encuentra la alteridad. El escritor y el lector son irremediablemente separados. En cambio en el Intertexto, abierto al lector-escritor, la alteridad puede consolidarse estéticamente, “escrituralmente”. Es decir, “el hombre es, principalmente, escritura, concreción del lenguaje”, concluye Vitali-Rosati. Se abren así las puertas a una auténtica revolución en la comunicación humana en general y en la literatura en particular : el hombre comunicante, particularmente en el mundo digital, deja de ser una simple lector como en la novela, puede convertirse en “lector-escritor”, como en el Intertexto.

 

A principios de 2019, Sens Public publicó una entrevista del dramaturgo y director de cine, Peter Brook -”Presencia y Creación”- realizado en 2016 bajo el patrocinio de la Academy of Arts of New York por el pintor y arquitecto chileno, Pedro Pérez-Guillón. La entrevista, publicada simultáneamente en inglés, francés y español gracias al esfuerzo de Servanne Monjour y de su equipo SP en Montreal, se desarrolla principalmente en torno al teatro y las artes plásticas. De la literatura sólo se discute tangencialmente. Puesto que fui alumno de Peter Brook durante siete años (1979 -1986) en el Instituto Gurdjieff de París (bajo la dirección de Madame Jeanne de Salzmann y del Doctor Michel de Salzmann), me parece oportuno, útil y necesario, mirar mi trabajo teórico a la luz del pensamiento de quien es considerado uno de los hombres de teatro más importantes de nuestro tiempo, pero que permanecerá también en nuestra memoria como un guía espiritual. La dificultad es considerable, sobre todo porque el mecanismo de creación de la literatura narrativa -la novela en particular- es refractaria a un enfoque "espiritual", a diferencia de la poesía. Quizás podríamos considerar En busca del tiempo perdido como una excepción. El Libro del Desassossego del poeta portugués, Fernando Pessoa, también podría leerse como una obra de ficción narrativa donde la espiritualidad es intensamente perceptible por el lector atento. Esta obra, rara en la literatura occidental, es comparable por su profundidad a los escritos del poeta y maestro espiritual indio, Krishnamurti. Sorprendente coincidencia, ambos recurren constantemente al oxímoron como figura retórica, aunque difieren fundamentalmente en la medida en que Krishnamurti muestra un camino suave y tranquilo para lograr la presencia del ser dentro de uno mismo, mientras que Pessoa se queda en la constatación de la ausencia de esta presencia en el hombre común y se limita a poetizar su desesperación. Aun así, su obra constituye uno de los pocos ejemplos de alta espiritualidad en la literatura del siglo XX. Creación y presencia, en el sentido que Peter Brook habla en esta entrevista, parecen ajenos a la narración, especialmente cuando se trata de historias novelescas. ¿Hay algo auténticamente espiritual en Los hermanos Karamazov? ¿Podemos hablar de "espiritualidad" cuando Dostoievski introduce el personaje de Alyosha, el joven novicio y devoto de su moribundo starets, o cuando el novelista hace hablar al Gran Inquisidor para acusar a Cristo de no cumplir sus promesas? No hay que confundir “espiritualidad” y “beatería”. Los personajes dostoievskianos y sus diálogos sobre el cristianismo ortodoxo no son más "espirituales", a pesar de su pretendida libertad polifónica, que las reflexiones monofónicas de las novelas densamente psicológicas y materialistas de Jean-Paul Sartre o de Albert Camus. El Intertexto busca acercarse lo más posible a la autoconciencia del escritor y del lector. La “espiritualidad” se desarrolla en este nivel, el de la conciencia. Al introducir la intertextualidad como mecanismo central de narración, busco crear un conjunto de referencias que me permitan - como escritor- tomar conscientemente en cuenta los escritos de otros escritores dejando simultáneamente abierta una nueva proposición textual al lector quien, a su vez, puede utilizarla como un nuevo sistema de referencias, etc.

 

"Lo terrible de las universidades y escuelas de arte es que empiezan siempre por la forma”,

se lamenta Peter Brook.

Lo que nosotros buscamos (siempre con la ayuda de la forma) es encontrar lo que puede iluminar la forma. Lo que puede iluminar la forma es lo verdaderamente valioso. Si estamos atentos a la vida, podemos sentir que la vida está en movimiento permanente y, por tanto, sus formas también cambian todo el tiempo. Los grandes artistas de todas las épocas son conscientes de que la vida y sus formas cambian constantemente. Y es por ello que para un compositor de nuestro tiempo componer música a la manera de Stravinsky o de Bach, no tiene sentido. Estas formas eran necesarias en su época. Luego las reconocemos, las registramos y las incluimos en lo que llamamos “Historia del Arte”. Pero llega un momento cuando el artista sentirá la necesidad de un cambio y, como Picasso, dirá: "No, no podemos seguir haciendo cosas del mismo modo que hace 50 años, no podemos seguir haciendo pinturas naturalistas perfectas, hay algo nuevo que necesita ser revelado y debemos tratar de encontrar cuál es la forma adecuada para ello.”

 







                             Peter Brook aux Bouffes du Nord de Paris.




Peter Brook reconoce la necesidad de innovar, de encontrar nuevas formas de expresar lo nuevo en la evolución de la vida humana. Para mí la “forma novela” es obsoleta, anticuada, no corresponde a las necesidades del individuo y de la sociedad de hoy. La increíble banalidad de las novelas elogiadas por los críticos periodísticos es desalentadora. La cascada de premios literarios derramada sobre la producción novelística mundial oculta la baja calidad de las obras propuestas como "obras maestras" de la literatura universal, todas plasmadas aproximadamente de la misma forma. Es necesario encontrar una salida para escapar de esta mediocridad formal que carcome por dentro la literatura, transformándola en un simple objeto de consumo, en lamentable "palabra emputecida", como dice Gurdjieff en el prólogo de Encuentro con hombres notables, libro llevado al cine por Peter Brook en 1978-1979. Yo veo en el Intertexto uno de los medios para acabar con esta deriva y devolver su vitalidad a la literatura.

 

Termino esta crónica haciendo referencia a mi último libro, Teoría del Intertexto, donde reúno todas mis reflexiones al respecto, incorporando un ensayo final, Ejercicios de Teoría Literaria y Teoría del Intertexto. En este ensayo analizo, como lo hice en 2012 con el pensamiento de Bajtín, las ideas de Sophie Rabau sobre la teoría literaria. En substancia, para Sophie Rabau (profesora de literatura en la Sorbonne Nouvelle, que se convirtió en novelista y que por tanto niega lógicamente la realidad del Intertexto), la teoría literaria no es necesariamente útil:

“Quizás también podamos responder a esta pregunta (la utilidad y relevancia de la teoría literaria) diciendo que teorizar sirve para teorizar, teorizar tiene como objetivo principal la producción teórica."







                                   Embajada de Chile en Paris, Sophie Rabau, 2006.



En otras palabras, ¿tejer aire con aire? En verdad, la teoría de la literatura, aunque a veces es muy abstracta, deja de serlo si se aplica a ejemplos concretos de la historia de la literatura. El Intertexto, dada su construcción, incluye, hasta cierto punto, su propia teoría, una teoría que tal vez será diferente de Intertexto en Intertexto. No existe una teoría única del Intertexto, podríamos decir que existen tantas teorías como Intertextos. Esta es también una de las diferencias esenciales con la novela, generalmente explicable por teorías globales externas a su textualidad, teorías que analizan las más diversas novelas utilizando siempre los mismos parámetros. Pero las teorías novelísticas son, en principio, externas a las propias novelas. Al novelista le preocupa narrar, no teorizar. Por otra parte, el escritor intertextual como lector-escritor está llamado a teorizar sobre su propio texto : incorpora la teoría literaria casi como un elemento narrativo más. Al hacerlo, lleva a cabo una verdadera autocrítica de su trabajo. El lector-escritor se sitúa a sí mismo en una perspectiva de “auto-conciencia ”. Es, por definición, más consciente que el novelista común y corriente, quien a menudo se pierde desastrosamente en las ficciones de su desarrollo textual. La "nueva literatura", conscientemente intertextual, apoyada sobre una "nueva edición", la editorialización, volverá a ser un medio valiosísimo para el desarrollo de la inteligencia y de la conciencia, como lo ha sido en los períodos más luminosos de la historia de la Humanidad.






 





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